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A-t-on une langue maternelle quand on naît de parents sourds ?
Celle de Claudia Durastanti est l'italien, celui d'un village de la Basilicate, où l'on compte plus de têtes de bétails que d'humains.
Ou peut-être est-ce l'anglais, celui de Brooklyn des années 1980, celui des immigrés italiens ? Ou est-ce le son du sang de sa mère, son tempo, ses vibrations ?
À jamais étrangère, Claudia Durastanti vient d'une famille protéiforme, où chacun parle de manière différente. Ses parents sont tous deux sourds, et chacun aime à raconter qu'il a sauvé l'autre de la mort le jour de leur rencontre. Elle naît et grandit aux États-Unis avec une partie de sa famille, avant d'arriver en Italie à l'âge de sept ans, comme « une immigrée à l'envers qui quitte le futur pour se désintégrer dans le passé ».
Sa vie sera faite de ces va-et-vient, de ces enracinements approximatifs sur des territoires où il lui faut apprendre à vivre.
De son plus grand obstacle, le langage, elle fait son cheval de Troie. De l'italien à la syntaxe peu orthodoxe de sa famille à l'anglais expérimental de ses cousins immigrés, la jeune Claudia grandit dans une langue qui lui est propre, une langue éclatée, fragmentée, qui résume à elle seule les multiples facettes de sa personnalité.
Devenue traductrice, puis auteure, elle développe avec L'Étrangère une carte géographique et sentimentale de l'histoire de sa famille. Organisé en chapitres courts à la manière des prédictions d'un horoscope, (Famille, Amour, Santé, Voyages, Travail, Argent) son roman conjugue la puissance d'évocation et la réflexion, dessinant la vie de sa famille élargie, et son propre chemin. Ce faisant, elle signe un livre universel, qui parvient à raconter une multitude de vies, par le prisme de leurs voix et de leurs territoires.
L’étrangère est une œuvre protéiforme à la fois autobiographie, roman et chronique familiale, sorte de carte topographique comme l’écrit l’autrice.
« L’histoire d’une famille ressemble plus à une carte topographique qu’à un roman, et une biographie est la somme de toutes les ères géologiques que nous avons traversées. »
L’histoire débute par la rencontre de ses parents, tous deux sourds. Deux versions romanesques de cette rencontre existent car chacun prétend avoir sauvé l’autre de la mort.
Née et grandie aux Etats-Unis, Claudia Durastanti va quitter Brooklyn retrouver l’Italie lorsque sa famille émigre dans un village perdu de la Basilicate.
Aux côtés d’une famille quelque peu déjantée, la narratrice raconte sa vie avec deux parents sourds dont la relation tumultueuse et passionnée, le manque d’argent ne facilitent pas le quotidien. Aux côtés de son frère, elle qui entend parfaitement va grandir entre ces deux adultes non entendants et éternels adolescents Elle va devoir composer avec cette différence et apprendre à communiquer de façon très particulière puisque sa mère refuse de parler la langue des signes. Le fait de retourner en Italie alors qu’elle a débuté sa vie à Brooklyn, la rend aussi étrangère à cette nouvelle langue et cette culture qu’elle doit assimiler. Elle va construire sa propre langue avec ces fragments d’autres langues,
La narratrice va être ballotée entre deux cultures, entre ses parents quand ils auront divorcé, entre plusieurs langues et ces expériences vont l’interpeller sur le rôle et les pouvoirs du langage.
« Mais moi je m’intéresse moins à l’identification avec une langue qu’à l’évolution d’un langage au fil du temps »
L’originalité du roman tient à son découpage en chapitres courts, avec des titres évocateurs comme « La petite fille absente à cause d’un chagrin »
Dans cette « carte topographique » de ses proches, elle nous donne à entendre toutes les voix de sa famille élargie aux personnalités très différentes. C’est vivant et, sous sa plume, le pathétique devient drôle.
Au milieu de ces récits multiples, on suit avec un intérêt croissant cette petite fille différente des autres et qui va devoir se frayer son propre chemin pour devenir adulte. Elle sera à la recherche d’un enracinement plus profond après avoir été cahotée durant toute sa jeunesse.
Claudia Durastanti est devenue autrice et traductrice, preuve de l’importance du langage, quel qu’il soit, pour vivre tout simplement.
Ce roman est profond, beaucoup plus profond que ne le laissent supposer les premières pages, et on ne peut qu’être touché par ce récit.
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