"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Rien de tout cela ne serait arrivé s'il n'y avait pas eu ce moineau.
Ni cette chute du haut du bouleau.
Valentin Noze n'aurait pas connu le docteur Arbogast, ni sa méthode d'hypnose par l'image, encore moins ses grenouilles.
Il ne se serait pas retrouvé sur l'île de Madagascar, et n'aurait pas eu à fuir devant un cyclone ou à pourchasser un ancien mercenaire à travers la forêt de la Montagne d'Ambre...
Et puis surtout, il n'aurait pas rencontré Sibylle.
Bref, il n'aurait rien vu.
Bertrand De La Peine écrit bien, très bien. De lui, j'ai lu Bande-son, qui s'il m'a laissé circonspect quant à son sens et au traitement superficiel des personnages, m'a aussi charmé par son style. Dans La méthode Arbogast, je retrouve tout le plaisir de lire des belles phrases, des mots rares ("ramponneau" = coup violent, "sempervirent" = toujours vert, pour un végétal, ...), des enchaînements réjouissants. A ce propos, je conseille à chacun de lire au moins le premier chapitre qui est un vrai régal : les situations se succèdent comme dans un jeu de domino où chaque pièce fait tomber la suivante. Malheureusement, je ne peux le citer ici, car trop long, mais faites-moi confiance, il est bath. Jusqu'au bout des 125 pages (Ah que j'aime ces écrivains -et les éditions Minuit- capables de faire bien voire très bien ou excellent en un petit nombre de pages !), le plaisir de lire reste intense et jamais ne s'émousse.
Par rapport à Bande-son, l'auteur a travaillé ses personnages : Valentin a de l'étoffe ainsi que P. Routledge, Sibylle ou D.O.G, les principaux intervenants. On peut y croire, on sait où ils vont chacun d'entre eux. Arbogast est finalement, bien qu'il donne son nom au titre un personnage secondaire, un scientifique qui "[pratique] l'hypnose sur ses patients afin de les soulager de leurs lésions crâniennes à l'aide d'images récurrentes." (p.19) C'est lui qui permettra la rencontre entre Sibylle et Valentin, à son insu, et qui justifiera l'intrigue du roman. C'est grâce à lui également que Valentin voit des images partout, et que l'auteur peut çà et là, placer brièvement tel ou tel tableau de peintres plus ou moins connus. B. De La Peine doit être amateur d'art, car Bande-son tournait déjà autour de ce thème ; là il suggère par petites touches, mais le thème principal est ailleurs : la défense des animaux ; je ne vous dis pas comment on y arrive, mais tranquillement -pour nous, moins pour Valentin et Sibylle- le lecteur est mené vers Madagascar et sa faune.
Un très bon roman, enlevé, superbement écrit, à tel point c'est que je n'ai pas pu sélectionner un seul passage à citer. Néanmoins, je ne résiste pas au plaisir de vous allécher avec les premières phrases, le début du malheureux -pour Valentin- enchaînement d’événements :
"Un chien lève la patte, pisse contre un réverbère, puis repart en trottinant. Il croise une fillette qui tient fièrement la tige métallique d'un ballon de baudruche sur lequel se détachent, en bleu sur jaune, deux "M" entremêlés. La marque des Magasins Modernes. Elle tressaute, leste, comme allégée par l'hélium du ballon. Ses longs cheveux bruns, retenus par une barrette d'écaille, cascadent sur un court manteau aussi jaune que le ballon. Sa deuxième main est prise dans celle de sa mère, sa mère qui presse le pas jusqu'à l'abribus du 73. Là, une masse indistincte de baskets, de boots, de ballerines piétine, à quelques centimètres du caniveau où une eau limoneuse fait flaque et file dans la bouche d'égout." (p.9).
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