"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Mulder est un sexagénaire hollandais fortuné qui vit à Paris et qui, après quelques ennuis de santé, répond à l'invitation de son ami sud-africain Donald à venir passer quelque temps dans le village proche du Cap où celui-ci s'est retiré. Pour Mulder, ce sont des retrouvailles avec son passé. Au début des années 1970, encore étudiant, il a fait partie à Paris d'un mouvement d'extrême gauche qui réunissait des réfugiés politiques du tiers-monde et des sympathisants européens. Ce mouvement luttait contre divers régimes dictatoriaux et notamment contre l'apartheid en Afrique du Sud ; des militants étaient envoyés clandestinement dans le pays. Mulder fut l'un d'eux : sous couvert d'études à l'université de Stellenbosch, il devait faire passer des messages à des membres de l'ANC, l'organisation anti-apartheid interdite à l'époque. C'est Donald, Sud-Africain blanc en rupture avec sa famille et vivant en exil à Paris, qui avait servi d'instructeur à Mulder pour cette mission.
Le roman commence avec l'installation de Mulder dans le village de pêcheurs où vit Donald. L'endroit offre un aspect peu engageant : Blancs et Noirs ont aussi peu de contacts que du temps de l'apartheid, les Blancs vivent barricadés dans des villas en haut de la dune, les Noirs (ou les métis) vivent en bas près du port, dans un quartier misérable et dégradé. Du fait de quotas désavantageux, les pêcheurs sont le plus souvent au chômage, les seuls à prospérer sont des trafiquants de nacre et des dealers de "tik", une drogue bon marché, qu'inhalent presque tous les jeunes du village et qui atteint à la longue leurs facultés mentales. Des bandes de gamins et d'adolescents traînent, volent dans les maisons des Blancs ou les vandalisent. Mulder en fait l'amère expérience : lui qui, dès son arrivée, s'aventure dans le quartier "noir" du village, est harcelé et attaqué par des bandes d'enfants. Ceux-ci excitent contre lui un chien qui le mord cruellement. Mulder se réfugie dans sa villa mais un début d'infection se déclare et au bout de deux jours, sa voisine, une infirmière, doit le transporter à la ville voisine. C'est à l'occasion de ce trajet qu'entre en scène un des personnages principaux : Hendrik, un jeune garçon qui s'est cassé le bras dans des circonstances inconnues et qui doit aller d'urgence à l'hôpital. Hendrik est un "tikkop", ce qu'on pourrait traduire par "une tête (pleine) de crack", un voyou qui traîne avec une bande de dealers et que l'on méprise non seulement pour cela, mais aussi parce qu'il est le fils d'une prostituée. Mulder prend le garçon en pitié et continuera à s'intéresser à son sort.
Entre les anciens compagnons d'activisme, les choses sont compliquées : leur passé, qui devrait les rapprocher, les sépare. Ils gardent l'un vis-à-vis de l'autre certains doutes et Donald va jusqu'à soupçonner Mulder de trahison. En retour Mulder considère Donald avec méfiance, son attitude à l'égard de la nouvelle Afrique du Sud lui semble ambiguë.
Tous deux s'intéressent néanmoins au sort du gamin.
Un portrait cru et sans concession de l'Afrique du Sud d'aujourd'hui, un livre porté par la connaissance approfondie que Van Dis a de ce pays et plus encore, par l'amour assez paradoxal qu'il éprouve pour la langue afrikaans et la culture des Afrikaners, toutes deux communément assimilées à la politique de l'apartheid et qui sont aujourd'hui en voie d'étiolement. L'auteur a remarquablement incarné ces sentiments contradictoires dans le personnage schizophrène de Donald, héritier d'une tradition dont il est à la fois honteux et fier.
Ces considérations prennent d'autant plus de relief que Van Dis lui-même a fait partie, au début des années 1970, du mouvement "Solidarité" de Henri Curiel, mouvement qui l'a effectivement envoyé en Afrique du Sud en mission clandestine.
Comme dans son précédent roman intitulé Le Promeneur (Gallimard, 2008), Van Dis met en scène le personnage de Mulder - sorte de projection littéraire - qui lui permet de se mouvoir dans un espace intermédiaire entre l'autofiction et le roman classique.
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