"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La période de la Résistance dans l'île est bien connue de nos compatriotes. En tout cas, l'intérêt qu'ils lui portent, leur curiosité, leur sensibilité à son égard, ne sont plus à démontrer.
Elle est proche de nous. On peut remarquer, depuis la libération, que le souvenir de nos héros est rappelé sur l'ensemble du territoire insulaire, les interventions armées sont décrites à date régulière, dans les journaux, les pages Internet ou dans des conférences, qui sont proposées aux élèves des lycées et collèges. Les anciens résistants et ami(e)s de la Résistance y consacrent beaucoup d'efforts. Aujourd'hui on va plus loin, on dissèque, on analyse les textes d'archives moins sous le coup de la passion, entre mémoire PC/FN, mémoire Gaullienne, mémoire Giraudiste et tant mieux pour l'histoire. Cependant cette réflexion moderne n'est pas au coeur des préoccupations de la population en 1942/1943, population qui accueille, protège, aide, guide les différents intervenants de la libération de l'île (soit vivant et agissant en Corse soit venant de l'extérieur). Cette libération, elle la souhaite ardemment car la vie est difficile. La fin de l'année 1943, malgré une île libérée dans l'enthousiasme et l'année 1944 sont aussi particulièrement pénibles à cause des destructions, d'un difficile approvisionnement, de l'engagement de ses jeunes pour les combats libérateurs de la France.
Mon père qui fût souvent en première ligne constata déjà d'étranges comportements où les pratiques d'avant-guerre commencent à reprendre le dessus. C'est précisément dans ce contexte que les actions de récupération de la résistance commencent à poindre car on est déjà là dans un combat plus politique. Le but n'est pas uniquement de revendiquer de manière répétitive la première place dans l'action résistante mais avant tout de gérer l'île autrement.
Ce ne sera qu'un rêve suivi d'amères désillusions.
La période de la Résistance est encore fortement présente dans la mémoire de nombreux corses, qui l'ont vécue ou de leurs enfants, à qui on a rapporté bien des faits ou des actes, mêmes anodins, mais qui, à cette époque, pouvaient conduire à des peines d'emprisonnement, à des déportations, à des tortures et même, à la peine de mort.
De mes lectures, de l'étude attentive des documents laissés par mon père Antoine Jean Meria, décédé il y a 27 ans, j'ai pensé que je pouvais apporter un témoignage supplémentaire (en grande partie le sien d'ailleurs, donc celui d'un acteur de terrain), en analysant la situation de la Corse avant, pendant et après la libération.
L'île, malgré son retard, n'est pas isolée, du moins au niveau de l'information si j'en crois les nombreuses coupures de presse de l'époque en ma possession. Les Corses sont au courant des évènements de portée nationale ou internationale. Certains participeront aux évènements de 1934 et 1936, luttant contre l'extrême droite et soutenant le Front populaire, puis s'organiseront en syndicats, dont le nombre passera dans l'île, de 12 en 1935 à 63 en 1938. Certains iront même combattre en Espagne, dans les brigades internationales, pour défendre la République menacée par Franco.
Ils savent aussi qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, devant les menaces d'annexion proférées par les fascistes italiens, devant les coups portés par le gouvernement collaborateur de Pétain et ses partisans locaux, devant l'invasion des troupes italiennes qui occupent l'île depuis le 11 novembre 1942, suivies des troupes allemandes, qui, moins d'un an après la traversent à destination de l'Italie continentale via le port de Bastia.
Ils accueillent cependant avec enthousiasme les premiers encadrants de l'armée française, qui envoient des messages à Alger, qui organisent des parachutages d'armes, préparent le terrain pour les soldats qui vont débarquer en force à Ajaccio, première ville libérée.
Ils sapent à longueur de temps le moral des troupes italiennes, ils critiquent le gouvernement de Pétain, ils sont sur tous les terrains d'action et perdent plus de 150 des leurs, peu importe le camp PC/FN, gaullien ou giraudiste. Ils sont à l'unisson contre l'occupant allemand que l'armée régulière alliée aux Italiens et aux partisans corses va accrocher dans sa remontée vers Bastia ultime étape du combat libérateur de l'île.
Au-delà des épisodes successifs qui sont rappelés année après année, ce qui m'a intéressé et j'en parlais souvent avec mon père, c'est la démarche de ces hommes non guerriers au départ, qui au-delà des combats pour libérer l'île, se préoccupaient en même temps, de son devenir et du sort de ses habitants. Ils ont fait, pour cela, des propositions concrètes, très peu prises en compte hélas, par les différents gouvernements, vu sans doute le contexte national et même international, mais vraisemblablement aussi, vu la volonté d'affaiblir le Front national qui avait joué un rôle déterminant, dans les combats libérateurs, effaçant momentanément les clans traditionnels et dont le retour en force est favorisé. Cela ne peut se nier et le rappel aujourd'hui de son combat, ses souffrances, ses martyrs, que d'aucuns jugent peut être pesant ou essayent de récupérer, n'a pas été en pure perte car ce qui motivait les membres du FN/PC du moins pour une grande partie d'entre eux c'était la lutte contre le fascisme puis après la libération l'obtention de moyens pour le développement d'une île ruinée.
C'est d'abord le temps des désillusions certes, puis la lente apparition d'une autre forme de résistance plus large, cette fois, d'une prise de conscience, d'actions d'envergure visant à défendre et à obtenir ces moyens pour développer une île délaissée, quasiment abandonnée au début des années 60...
Guy MERIA
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