"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Frank Smith écrit. Et dessine aussi. Julien Serve dessine. Et écrit aussi. Tous deux sont constamment inspirés par le monde, par ce qui s'écrit en continu sur lui, par l'information.
Pour parler est né de leur rencontre.
Frank Smith a écrit 115 sonnets. Il voulait s'attaquer à cette forme, une forme fixée, très précise, et la revisiter, la déconstruire, la détourner. Se contraindre soi-même. Voir comment il pouvait faire des « anti-sonnets », sans rimes, sans la dimension lyrique, sans faire appel aux sentiments, mais en creusant des questions dans cette forme très fixée, très précise : qu'est-ce que c'est que parler, comment peut-on dire ? Dans ce recueil, le vent du lyrisme classique est remplacé par une tempête de questionnements ; l'expression d'un moi tourmenté par la révélation que la pensée n'existe qu'à travers les mots ; l'effusion par la grammaire, la sublimation des sentiments par une opération chimique pratiquée au cutter sur les brèches et les failles ; la musique par la simplification et Schubert par Feldman.
Julien Serve se découvre fasciné par « la capacité de Frank Smith à se saisir d'une réalité au travers du vocabulaire, du langage qu'elle produit. La rejouer, l'amener à un point de lisibilité plus pertinent, plus sensible. J'ai eu envie de lui voler ses écrits. Mais je me suis fais attraper. » Et Julien Serve se met à dessiner, « sur » les sonnets, ou plutôt autour. Plutôt que de parler des sonnets, il dessine. Et pour Serve, la main produit de la pensée. Sa pensée est dans le geste. L'écriture comme le dessin lui semblent des exercices d'équilibriste au dessus du vide.
Mais ce qui lie peut-être le plus intimement Julien Serve et Frank Smith, c'est que tous deux, qui par le dessin, qui par les mots, cherchent à reformuler une réalité non admissible.
« Je ne voulais pas, écrit Julien Serve, illustrer les sonnets de Frank Smith. Je voulais être en immersion totale. Me perdre dans leurs structures éclatées. Perdre le sonnet. Que les sonnets se lisent sans discontinuer me permettaient de perdre prise. L'imprévu devenait alors envisageable. Je me suis donc contraint à ce dispositif avec des règles simples et strictes : 24 heures de dessins en direct à la lecture d'une voix numérique. » Le nombre de dessins est le résultat de la durée du dispositif mis en place ; il n'y a pas de dessin A pour un sonnet A, ni de nombre de dessins par sonnets.
Pour le livre, il y a lieu d'inventer une nouvelle forme. Les sonnets et les dessins, les dessins et les sonnets, oui, mais comment ? Il s'agira d'injecter les dessins dans les sonnets, de fondre textes et images pour échapper à la formule texte/illustration et créer la parfaite co-errance/cohérence que nécessite tout travail en duo. » (Barbara Polla, écrivain-galeriste).
Par un habile et original façonnage, textes et dessins sont mêlés, feuille par feuille, dans une superposition transparente, formant des « collisions » et des fusions, qui incite à une lecture aléatoire et diverse, de gauche à droite, de droite à gauche, à l'endroit, à l'envers.
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