"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quand il arrive à castelnau, un village au fin fond de la dordogne, tout près de lascaux, le narrateur a vingt ans.
C'est son premier poste.
Derrière le rideau gris des pluies de septembre, entre deux dictées, le jeune instituteur s'abandonne aux rêves les plus violents - archaïques, secrets et troubles comme les flots que roule, en contrebas les maisons, la grande beune.
Dans ces contrées où se rejoue encore dans une forme ancienne l'origine du monde, le sexe sépare deux univers. celui des hommes, prédateurs, frustes mais rusés - terriblement.
Et puis celui des femmes, autour de deux figures que l'écrivain campe magistralement.
Hélène, l'aubergiste, mère emblématique, et yvonne, à la beauté royale, qui suscite chez le narrateur une convoitise brûlante et toutes les variations d'un émoi qu'il nous fait partager au rythme de sa phrase : emportée comme un galop de rennes dans une ère révolue, retournée en une scène grotesque où des enfants exhibent l'animal vaincu, mordante ou fuyante comme le loup des peintures rupestres.
Une histoire simple dont l'écriture est une poésie. Chaque mot a sa place...les personnages, les lieux qui m'ont rappelée quelques vacances dans le Périgord m'a réconcilié de mes livres précédents. J'ai retrouvé aussi tout l'esprit de vie dans des domaines isolés. Je connaissais pas ce Pierre Michon, et je le trouve très loyal, très proche pour relever une ambiance entre pêcheurs, désirs, villageois et découvertes. Ce passage à lascaux, m'a rappelé la découverte fortuite de ses grottes. Une écriture soignée parfois complexe tant certains points se faisaient absent.
Dans les années soixante, un jeune homme arrive de nuit dans un village de la Dordogne, pour la prise de son premier poste d’instituteur.
« J’y arrivai la nuit, passablement ahuri, au milieu d’un galop de pluies de septembre cabrées contre les phares, dans le battement de grands essuie-glaces ; je ne vis rien du village, la pluie était noire. »
C’est la vieille Hélène qui règne sur l’auberge dans laquelle il prend pension.
C’est un personnage, d’un autre âge, comme les pierres du village.
C’est un mois de septembre pluvieux et venteux, qui lui cacherait presque ses élèves, qui en cours élémentaire, se ressemblent tous. Petites bouilles rieuses et peureuses dans le même instant.
L’auteur nous fait voir cette salle de classe avec ses patères sur lesquelles dégouttent les pélerines des enfants, on voit la fumée qui s’échappe des tissus au changement de la température. Le lecteur sent cette odeur mélangée de pluie et de craie. Il voit les murs avec le tableau noir, et les tableaux de lettres et ici il y a une vitrine avec des pierres mieux des armes qui racontent l’histoire d’avant, celle d’où est issue ces générations, car ici nous sommes près de Lascaux.
Mais dans toute cette grisaille, le récit s’accélère car l’instituteur va se transformer en chasseur paléolithiques, en guetteur de la belle buraliste.
« Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. »
Mais, la belle chaque dimanche, prend la route des Martres, pour rejoindre son amant.
Commence un jeu de traques, de regards, de bruissement de sa jupe, de frôlement quand par chance elle passe à côté de lui quand elle revient.
Cela devient le livre du désir, celui primaire, bestial, venu de la nuit des temps.
La narration épouse cette tension animale, cette violence en la confrontant aux murs peints des grottes et à leur vide aussi.
C’est la puissance de l’imaginaire à l’état pur, car ici il n’y a pas d’égarements dans des péripéties ou des analyses psychologiques.
Juste la force de l’état premier, l’état archaïque.
Une prouesse stylistique qui exalte l’art, le désir et l’humain.
« Quand je sortis, l’éclaircie était au moment de se faire ; le pavé rajeuni luisait, il ne pleuvait plus. Dans la pente vers chez Hélène, vers la Grande Beune, le soleil parut, le ciel s'ouvrit et les arbres blonds s'élancèrent : j’avais dans la gorge, dans les oreilles, quelque chose de plaintif, de puissant comme le cri interminable mais coupé net, modulé, plein de larmes et d’invincible désir, qui fait venir de gorges nocturnes, enchaînées, curieusement libres, le mot honey, dans les blues. »
Que dire sinon que j’aime me perdre dans ce langage si vivant, tellement addictif qui évoque tant, que chaque lecture de Pierre Michon est un émerveillement toujours renouvelé, car il est des écrivains qui se lisent et relisent pour mieux savourer cette sève jusqu’à l’ivresse.
©Chantal Lafon
Nous sommes en 1961. Le narrateur, tout jeune instituteur est nommé, pour son premier poste, à Castelnau « Entre les Martres et Saint-Amand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune ». Il n’y a pas de gare à Castelnau, il arrive en car sous une pluie battante et prend pension dans le seul hôtel du village « Chez Hélène » « sur la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la grande ». Hélène était vieille et massive comme la sibylle de Cumes, comme elle réfléchie, et de même attifée de belles guenilles, coiffée d’un fichu roulé ; son gros bras à la manche relevée essuyait la table devan t moi
La foudre le saisit au bureau de tabac devant la beauté d’Yvonne, la buraliste xdont il tombe immédiatement éperdument amoureux, une vraie passion. « Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sans. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. C’était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément par leur corps, c’était une bête ; si les reines ont une façon à) elles de porter sur la colonne d’un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c’était la reine. »
Des pages sensuelles qu’elles soient impétueuses ou limpides, rugueuses ou douces, me transportent dans un lieu où le paysage, le bestiaire de Lascaux s’entremêlent dans une poésie vibrante.
Je n’ose en dire plus, non pas par le suspens qui en découle, non, il n’y en a pas, mais je ne saurais définir, sans les abîmer la beauté des mots, des phrases, l’atmosphère et la Beune, immuable, qui continue de couler.
Superbe coup de coeur
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