"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ainsi qu'Elizabeth Kolbert l'a montré dans son précédent livre, La Sixième Extinction (prix Pulitzer 2015), l'homme par sa seule présence sur Terre affecte l'environnement, mettant son intelligence au service de la destruction de la vie. Mais cette intelligence lui donne aussi la capacité de réparer les dommages qu'il fait subir à la nature.
Qu'il s'agisse de ces chercheurs australiens mettant au point une espèce de corail susceptible de résister à l'acidification des océans ; de ces ingénieurs qui ont électrifié la rivière Chicago pour préserver la faune des Grands Lacs de la carpe asiatique ou de cette entreprise en Islande qui propose de capturer le carbone émis dans l'atmosphère pour le stocker sous forme de pierres, Elizabeth Kolbert est partie à la rencontre de celles et ceux qui tentent de restaurer notre environnement.
À l'écart de tout militantisme, elle raconte ce moment extraordinaire où le seul moyen de garder une planète vivable est de se substituer à la nature et de prendre les choses en main... pour le meilleur comme pour le pire.
Reportage de premier ordre sur nos efforts extraordinaires pour adapter la planète à l'homme, Des poissons dans le désert nous donne aussi à réfléchir sur l'humanité et le paradoxe d'aujourd'hui : la nature ne pourra survivre qu'en cessant d'être naturelle.
Prix Pulitzer de l’essai en 2015 avec La Sixième extinction, Elizabeth Kolbert est journaliste au New Yorker, spécialiste de l’environnement et du changement climatique. Dans Des poissons dans le désert – Quand l’homme répare la nature, elle nous donne un aperçu de plusieurs programmes de protection de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique, où l’Homme (re)modèle la nature.
Les différents chapitres du livres sont autant d’enquêtes réalisées à travers différents pays où sont mises en places des stratégies pour réguler ou sauver l’environnement. Des poissons dans le désert renvoient par exemple à l’existence de petits poissons extrêmement rares survivant dans le désert et qui ne doivent aujourd’hui leur salut qu’à l’intervention humaine. Au passage, j’ai trouvé le choix du titre moins judicieux que celui d’origine (« Under a white sky »), qui renvoie à la couleur du ciel si l’on l’ensemence avec des particules réfléchissantes pour limiter les effets du réchauffement climatique ; un projet bien plus révélateur des contrôles de la nature que l’Homme envisage de faire.
Elizabeth Kolbert est ainsi partie à la rencontre de celles et ceux qui s’engagent dans la restauration de l’environnement. On parle de l’électrification de la rivière Chicago pour empêcher la colonisation des Grands Lacs par la carpe asiatique, une espèce invasive mais aussi de technologies plus pointues (génie génétique, géoingénierie). Arrêtons-nous par exemple sur le blanchiment des coraux :
Pour pallier ce phénomène, l’idée est venue à des chercheuses de faire provoquer une « évolution accélérée de la nature » : croiser différent types de coraux qui n’auraient pu se croiser dans la nature, sélectionner les plus résistants au blanchiment puis ensemencer le milieu avec ces nouvelles souches.
La découverte récente des « ciseaux génétiques » (CRISPR) ouvre également la voie à la régulation des espèces invasives, comme le crapaud buffle en Australie.
"Les crapauds buffles sont originaires d’Amérique centrale et du Sud, ainsi que de la pointe la plus méridionale du Texas. Au milieu des années 1800, ils furent implantés aux Caraïbes. L’idée était d’enrôler les crapauds dans la lutte contre les larves de coléoptères, qui ravageaient les cultures de canne à sucre. (…) Des Caraïbes, les crapauds furent ensuite expédiés vers Hawaï et, de là, en Australie. En 1935, on embarqua cent deux crapauds sur un bateau à vapeur à Honolulu ; cent un d’entre eux ont survécu au voyage et se retrouvèrent dans un centre de recherche au cœur du pays de la canne à sucre, sur la côte nord-est de l’Australie. En un an, ils avaient produit plus de 1,5 million d’œufs. Les crapauds qui en étaient issus furent intentionnellement relâchés dans les rivières et les étangs de la région. »
Dans le cas présent, l’idée est d’introduire une séquence de quelques gènes dans celui du crapaud buffle (une dizaine sur les 20.000 de l’animal) qui permettront de l’éliminer. La même logique pourrait être appliquée aux rongeurs.
Un dernier exemple a trait au climat. Les personnes interrogées considèrent que freiner les émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas à garder le réchauffement climatique dans des limites tolérables. Une société suisse a mis en place un procédé pour capter le CO2 et le fixer dans les roches comme dans la nature. On évoque également des stratégies plus risquées comme l’émission de particules réfléchissantes (cas évoqué ci-dessus). Certaines solutions se heurtent à des limites en matière d’énergie nécessaire, de coût tandis que d’autres posent clairement la question éthique.
Il y a deux façons d’interpréter ce livre : le côté plutôt optimiste des solutions qui existent d’un côté, ou alors l’angle de vision plus pessimiste, où l’Homme joue à l’apprenti sorcier ou du moins qu’il est présent partout dans la nature. C’est plutôt vers cette thèse que penche le livre. Elizabeth Kolbert montre bien à quel point l’intervention de l’Homme entraîne parfois un déséquilibre, qu’il se propose de corriger en tentant une nouvelle intervention… Une limite de raisonnement que résume bien une citation d’Albert Einstein : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».
Un dernier point intéressant également : dans deux cas (carpe asiatique et crapaud buffle), les introductions avaient été faites dans l’esprit de faire du « biocontrôle », une des solutions que prônait Rachel Carson dans Printemps silencieux, au lieu d’utiliser des moyens chimiques. Or les organismes introduits n’ont pas eu de prédateur et ont ensuite proliféré. Un exemple à méditer…
C’est un livre relativement accessible à lire ; les premiers chapitres sont peut-être un peu moins intéressants mais les cas étudiés à partir du chapitre 4 (les coraux) font vraiment réfléchir.
https://etsionbouquinait.com/2023/12/14/elizabeth-kolbert-des-poissons-dans-le-desert/
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