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Le Salvador est l’un des pays les plus meurtriers du monde. Les gangs (« pandillas ») les plus violents s’y livrent depuis des années une guerre sans merci, à laquelle s’ajoutent les « affrontements » réguliers avec la police. Pourquoi des guillemets ? Je m’explique.
S’il est légitime pour un gouvernement de vouloir mettre fin à la violence des gangs et à l’insécurité qui en résulte, encore faut-il en donner les moyens aux forces de l’ordre d’abord, aux tribunaux et aux prisons ensuite.
Et c’est bien là tout le problème : corruption à tous les étages d’une part, et spirale infinie de violence d’autre part : sans qu’on sache très bien qui a commencé (version salvadorienne de l’oeuf ou la poule), les pandilleros tuent les flics pour se venger ou se défendre, d’autres flics abattent d’autres pandilleros pour se défendre ou se venger, la surenchère de vengeance s’étend aux familles des uns et des autres et cela ne s’arrête jamais. Sauf que cela devrait s’arrêter puisque les flics sont censés représenter la loi, l’autorité et l’Etat, et que même si au Salvador, il est très peu question d’Etat de droit, on ne devrait pas pour autant en arriver à une loi du Talion exponentielle. Mais que cela ne s’arrête pas, parce que les flics sont en l’occurrence eux aussi constamment harcelés, menacés, ciblés, torturés, tués par les gangs, et que les opérations commandos tournent régulièrement en bavure, la plupart du temps même pas accidentelles.
Et donc quand l’auteur parle d’ « affrontement » avec la police, il veut dire en réalité « massacre commis par la police ».
C’est un énième de ces épisodes sanglants qui a mené à ce livre : dans le bled paumé de Santa Teresa, un groupe de policiers a abattu, en pleine nuit et dans une église, un groupe de pandilleros désarmés, ainsi qu’un jeune homme qui n’était membre d’aucun gang, et a ensuite maquillé la scène de crime en affrontement « authentique », certain de son impunité. Sauf qu’il y avait deux témoins, qui ont accepté de parler au journaliste, lequel, après investigations et recoupement de multiples indices, a publié l’histoire, qui a mené tant bien que mal à la mise en accusation et au procès de huit policiers.
Mais tout est mal qui finit mal, puisque par la suite, un des témoins a été assassiné, avec deux autres personnes innocentes, et que l’autre témoin vit encore sous la menace permanente des bourreaux assoiffés de revanche et de violence.
Dans « Les morts et le journaliste », Óscar Martínez, journaliste d’investigation spécialiste des thèmes de la migration et de la violence en Amérique centrale, revient sur ce crime et son enquête. Il s’interroge plus largement sur son métier, sa déontologie, explique comment il ne publie que des enquêtes dont il a pu prouver le moindre élément, parle de celles auxquelles il a dû renoncer, pour la raison inverse. Il questionne également les liens entre le journaliste et ses sources : si ce sont des victimes, faut-il sympathiser avec elles, faire preuve d’empathie, essayer de les aider, de les sauver, garder le contact après l’enquête ? Et si ce sont des bourreaux, comment interagir ? Des réflexions sur le pourquoi et le comment de ce métier si particulier dans cette zone si dangereuse du monde, sur cette violence infernale qui semble sans fin ni solution.
Malgré une structure qui aurait pu être plus claire (on sent que cela a été écrit d’un seul jet), « Les morts et le journaliste » est un livre terrible, dur, brutal, qui ne laisse pas de place à l’espoir ou à la rédemption. Mais la démarche est nécessaire et ici, remarquable d’honnêteté et de courage.
En partenariat avec les Editions Métailié.
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