"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Chronique d'un village du Nord au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où s'exacerbent les tensions, et interrogations sur la responsabilité des criminels de la tragédie d'Oradour. Hortense, une jeune Alsacienne et Robert, charmant escroc ne pourront eux non plus se soustraire à la mise à nu d'un pan, secret, de leur existence... Par l'auteur d'Effroyables jardins.
Hiver 1953. Hortense Weber, jeune Alsacienne célibataire venue occuper un poste d'institutrice à Equignies, bourg de l'agglomération lilloise, accouche d'un petit garçon. A la maternité , elle rencontre Robert Duvinage, qui pratique, entre autres, l'escroquerie photographique du " bébé du mois ". Parce qu'elle le perce à jour sans le dénoncer, parce qu'il sent la jeune femme porteuse d'un secret, s'installe entre eux une relation d'affection méfiante. Robert suspend un temps ses activités pour faire le commis dans le bistrot-épicerie du maire communiste d'Erquignies et veiller sur Hortense malgré elle. La guerre d'Indochine bat son plein et divise la population, la guerre froide est vécue au quotidien... Les dissensions sont exacerbées par le procès à Bordeaux des nazis qui ont massacré les habitants d'Oradour en 1944. Parmi les accusés, treize malgré-nous, dont un engagé volontaire, alsacien. A Erquignies, on se déchire avec autant de violence que dans toute la France : responsabilité collective ou individuelle dans un crime contre l'humanité ? Peut-être en raison de ses origines, de son homonymie avec un des accusés, de son statut de fille-mère, Hortense est montrée du doigt. En même temps, ce climat ravive les plaies de la Libération, notamment l'affaire du réseau Voix du Nord, du nom du journal issu de la Résistance et de l'épuration...
Une chronique d'un village quelques années après la guerre qui pourrait être banale, sauf qu'elle est raconté par Michel Quint. Il sait comme personne inventer des situations, décrire des personnes avec des secrets bien gardés. Tous les protagonistes ont quelque chose à cacher, les premiers rôles comme Robert et Hortense, mais aussi les seconds rôles et notamment Odette la femme du bistrotier, tous les habitants du village : un passé peu glorieux pendant la guerre, des relations adultères, des trafics en tous genres, des dénonciations, des jalousies poussant à des actes inavouables, ... Bref, aucun personnage n'est tout blanc ou tout noir. Michel Quint ancre son histoire dans cette année 1953 et je dirais même dans cet hiver (janvier/février) qui correspond aux dates du procès d'Oradour. Hortense est alsacienne, comme les accusés, les malgré-nous, qui enrôlés de force dans la division Das Reich de la Wafen-SS furent coupables du massacre, elle est donc si ce n'est suspectée au moins vue par certains d'un mauvais oeil. Ce procès est le centre des conversations pendant tout l'hiver, avec la guerre d'Indochine puisque l'un des garçons du village en est revenu mutilé et un autre y est encore. Puis, ce sont les incendies volontaires qui se succèdent dans les alentours d'Erquignies qui viennent supplanter les autres sujets. A coup d'anecdotes, de noms de politiques, de titres de chansons de l'époque, de noms de journalistes, de personnalités diverses, l'auteur nous plonge définitivement dans cet hiver 1953, dans le nord de la France. Quels beaux personnages dans son roman : totalement crédibles et humains, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs lâchetés et leurs courages... Ils sont tous aimables et antipathiques, bons et mauvais. Tout tourne autour des relations qu'ils entretiennent, une vraie vie de village avec ses amitiés, ses inimitiés, ses ragots, ses jalousies...
Et puis, la grande force de ce roman réside comme dans tous les livres de Michel Quint dans la langue, dans l'écriture du romancier. Il sait construire des phrases très particulières, la virgule là où l'on ne l'attend pas forcément qui nous oblige à ralentir le rythme de lecture voire à revenir en arrière et relire la ou les phrase(s). Il les déstructure, change l'ordre des mots, fait suivre dans une même phrase une description et une remarque d'un personnage sans nous prévenir -à nous de faire avec et de s'y retrouver. Cette construction donne assurément un style, pas toujours simple, mais d'une grande beauté. Un style entre l'oral et le descriptif, très personnel, qui personnellement me ravit. Il m'oblige -comme je le disais plus haut- à prendre mon temps, à prendre plaisir à lire tous les mots, dans l'ordre voulu par l'auteur. Michel Quint n'écrit pas tout son livre de cette manière, il est parfois plus classique, ce qui permet de lire certains passages plus vite et de surtout ne pas prendre l'habitude de ses phrases si particulières et donc de s'y arrêter un peu plus longtemps, comme s'il voulait nous les faire remarquer.
"Madame Bonnard appelle Alain dans le vestibule, on hurle des horaires de cours en fac, de TD annulés, de rendez-vous avec des copains, de refus de se laisser conduire à Lille, de recherche de tickets pour le bus Bolle, on cavalcade dans l'escalier, Jacqueline passe le nez, entre, virevolte de queue-de-cheval et de jupe new-look, une vraie fausse ingénue de calendrier pour routiers, vient jeter quelques magazines sur la table basse. Bonjour, elle voit Roland, considère le nourrisson, lui fait un guili dans un immense sourire, elle est belle ainsi, Jacqueline, qu'est-ce qu'il est mignon..." (p.159)
Hiver 1953, l’un des plus froids. Je retrouve Michel Quint dans sa région du Nord, plus précisément à Erquignies, petit village à la frontière belge.
Robert Duvinage, photographe à la petite semaine (ce n’est pas le nom d’un journal), escroc de peu d’envergure, photographie des nouveau-nés soit-disant pour le prix du plus beau bébé du mois. Il entre, ainsi dans la chambre d’Hortense qui allaite son bébé. Là, le dérailleur casse, quelque chose se passe. Chassée de la maternité parce que fille-mère (il ne fait pas bon de sortir du cadre stricte de la morale), Robert ramène tout ce petit monde à Erquignies alors qu’une tempête de neige rend le retour, à Lille impossible. Pendant la nuit, une grosse ferme est incendiée et les quatre occupants, dont deux enfants, meurent dans le brasier. Qui est coupable ? Le découvrir, c’est le but, non, le prétexte de Robert qui se sent happé par Hortense et le petit Rolland, surtout qu’elle l’a présenté comme le père de l’enfant et qu’il confirme.
Hortense est alsacienne et, de ce fait, au cœur de la polémique sur les « malgré nous ». Pourquoi a-t-elle été mutée ici ? Robert n’en sait rien, mais devine beaucoup d’ombres et de la peur ; aussi il s’érige en ange gardien de Rolland.
Au bistrot-bazar-épicerie, pivot de la vie d’Erquignies, les clients parlent du procès d’Oradour-sur-Glane. Faut-il un procès commun à tous ou alors séparer les « Malgré nous » des allemands, faut-il un procès individuel ? Il y est aussi question de la « Voix du Nord » et son personnel issu de la presse collabo. Il ne faut pas oublier les trafics en tabac, alcool et autres denrée avec la Belgique. La guerre en Indochine préoccupe les habitants du village. Le fils du maire est revenu, traumatisé, avec trois doigts en moins et d’autres sont y sont toujours.
Michel Quint mélange suspens, histoire et vie quotidienne. Où j’apprends, (si j’en ai besoin !) que tout n’est pas noir ou blanc que les salauds se cachent derrières les braves, que les braves ne sont pas ceux à qui l’on pense.
Ce que j’aime chez Michel Quint, c’est sa peinture du nord, jamais complaisante mais pleine d’amour et si bien documentée. Les personnages secondaires sont mitonnés aux petits oignons. Les phrases sont longues, imagées. L’impression de voir les villageois patauger dans leurs vies comme dans les rues enneigées. Ce n’est pas l’intrigue, la recherche du pyromane, le cœur du livre, mais la vie quotidienne à Erquignies en ces années cinquante.
Michel Quint confirme tout le bien que je pense de ses livres.
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