"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Étonnant voyageur, vagabond rimbaldien, immense conteur, égaré dans l'histoire littéraire quelque part entre Blaise Cendrars - dont il fut l'ami et le confident - et, pour la génération à venir, Nicolas Bouvier, Jacques Lacarrière, ou encore, plus près de nous, Paul Nizon, les coordonnées échouent à restituer la fraîcheur du pas et du style de Jean Bühler, né à la Chaux-de-Fonds en 1919, infatigable globe-trotter, « voyageur qui écrit » davantage qu'écrivain-voyageur, pour reprendre une distinction fameuse, mais écrivain d'abord et par-dessus tout. Un écrivain qui entre en littérature avec la foi de « l'aspirantmartyr » dans ce récit semi-autobiographique de 1942 relatant une immense dérade à travers une Europe saisie en pleine « montée des périls » à la veille de la seconde guerre mondiale, par un frais bachelier embarqué dans le roman de formation goethéen par excellence - relevé de crâne malice -, où le jeune pícaro apprend, chemin faisant, les vicissitudes de « l'en aller », après en avoir goûté et peut-être épuisé toutes les voluptés.
Roman de la jeunesse en forme de bréviaire ou de manifeste, écrit d'une plume allègre et poétique bruissant d'un lyrisme qui fait songer souvent, par sa tendresse mêlée de fougue, à un Kerouac, il nous jette, de son pas ferme et délié, la morne cour d'honneur d'un lycée de province une fois désertée, le long d'une fugue qui nous mènera du Jura suisse aux contreforts de l'Albanie, après une traversée cahoteuse de l'Adriatique, puis le long des sentes d'une Mitteleuropa miraculeusement restituée, avec son folklore et ses couleurs naïves, mais aussi ses premiers accès d'identitarisme, puis - rencontre faite avec un Paname de Bohême - jusqu'en Silésie, et retour, manière de dessiner une géopolitique sentimentale, carte du Tendre et de soi-même à l'orée de la vie ; manière aussi de cerner sur le vif les contours d'une Europe encore galamment buissonnière, en jouissant de cette vie de saute-frontières, tout en tentant d'en retenir le chant, en le reconduisant à sa source : populaire et armoriée des mille historiettes qu'enregistre ici l'oeil de ce « Suisse nomade » des confins.
Et peut-être aussi de se reconduire, en chemin, à ce qui fait vivre : l'amour, la mort, l'effort et les clés d'un égoïsme enfin réconcilié, non sans peines ni bourrasques, ni poésie, avec le monde. Et avec pour macbethienne devise, en filigrane de cette « création passionnée de soi »: « Naître ou n'être pas ».
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