"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
À l'origine de ces Chemins de non-retour, il y eut nombre d'observations personnelles autour d'un phénomène inhérent à notre temps, phénomène qui va s'étendant, variant et se diversifiant, celui de la disparition dans la vie même. Un intérêt pour ainsi dire empathique pour ceux qui choisissent de disparaître pour reprendre leur vie ailleurs, ou pour ceux qui se réfugient dans l'indifférence et l'insensible, perdent toute mémoire (Alzheimer) ou se perdent dans les paradis artificiels, ne se cantonnent plus que dans la part impersonnelle d'eux-mêmes, sans plus participer au présent. Ceux-là veulent en finir avec ce monde, rompre tous les ponts, ne plus être en relation, entrer en lente dissolution, et d'abord, fuir le cauchemar climatisé, l'étreinte sociale, l'insupportable vie d'avance vécue sans surprise, et ne plus y être pour personne (excepté pour soi ?...).
À partir de cette matière accumulée au gré des ans, qui a macéré et s'est comme alcoolisée dans la mémoire, il y a aujourd'hui ces poèmes, que j'ai écrits ou plutôt, que j'ai laissés s'écrire à travers moi.
Somptueux « Sur les chemins de non-retour » sauve le monde. Il souffle sur les braises encore vives et signifiantes. L’effusion attise les réponses. Ombres se miroitant sur les murs. Jean-Pierre Otte délivre le passage, octroie la voie. La capacité d’un poète assigné à la rémanence . Que c’est beau, voluptueux et théologal !
« Celui qui disparaît en lui-même se retrouve. » « C’est un droit d’asile en toi-même qu’il va falloir obtenir. »
« En nous délestant par degrés, de celui que l’on fut. »
L’empathie libellule, le regard altier. Comprendre les définitions mêmes des métamorphoses plausibles. Femme blessée dans sa chair, brouillard opaque, la mémoire qui dérive et se cogne sur les rochers immanquablement. Les mots étincellent, illuminent. Le seuil d’un labyrinthe vertueux, où le premier pas déforme les apparences malencontreuses et sournoises. Les poèmes résolument précieux, attentifs sont salvateurs. Mappemonde d’un jour universel, celui de l’hédonisme, du temps présent. Une farandole altruiste, un alphabet magnanime, ici on pleure tant les réponses se forment lettre après lettre. « Et se relever seul / d’une solitude pleine de résonance / dans la nuit épaisse et presque palpable / où les échos s’estompent en creux / tels les bruits blancs des cannes d’aveugle. »
Jean-Pierre Otte rassemble l’épars. Glaneur et assoiffé. L’ivresse de collecter la rédemption, étoile décrochée du ciel des amertumes. Figer le temps d’un confinement, ne prendre que sa part, celle d’un roi des mots. « Sosies des autres et sosie que l’on est pour soi-même. / On ne se méfie jamais assez des sociétés d’acclimatation. »
Écrire ainsi, « Il arrive alors que l’on laisse couler / sous le plafond des eaux opaques, sans plus / pouvoir refluer en surface, en ayant à l’esprit / la dernière image d’une fillette qui saute à la corde / traçant autour d’elle la sphère où elle s’enferme. »
Marelle entre ciel et terre, regain et battements d’ailes d’un macrocosme à flanc de colline. Retenir cette sève et rendre hommage au poète, au veilleur, à l’homme écrivain et passeur. Entendez-vous le crissement du crayon papier sur la feuille, bousculée par le diktat de nos mirages ? Il certifie le passage du gué, les murmures de nos cœurs. Tout va changer par sa grâce et sa haute intelligence.
« On passe à la trappe de l’instant, le dehors vole / en éclats puis se recompose ainsi qu’une verroterie, / et quand la chance décroît, il faut s’en remettre / à l’arc-en-ciel tombé sans bruit par-delà la clôture. » « Lever l’ancre, lâcher-prise, larguer les amarres. »
Myriades en plein vol, les migrations-signes. Mot de passe,/pour ceux qui deviennent invisibles à nos yeux/ mendiants sous l’imposte d’une porte aux pastorales d’opéra... »
Fuir, disparaître, nager en pleine mer, l’oublieuse vénérée. Étreindre les fragments, mimétisme loyal et assumé, renaître dans l’aube d’une trame solfège. Jean-Pierre Otte, virtuose, humaniste, pur comme du cristal. Dans la perfectionniste revue poétique NUNC.
Publié par les majeures Éditions de Corlevour. À noter une magnifique première de couverture , illustrée à la craie par Jean-Pierre Otte.
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