Voici que s'accomplit, avec le dernier volume de la Trilogie transylvaine, la troisième parole prophétique du livre de Daniel : " Vous serez divisés ". Un grand empire sur le déclin, des soubresauts politiques dont on sait qu'après coup ils n'auront été que de peu de poids dans le cataclysme qui aura tout balayé, jusqu'à recombiner les identités nationales. Tel est le regard plutôt pessimiste que promène l'auteur sur un monde vieillissant, sur des amours qui se décomposent, sur des dynasties qui finissent en impasse.
Il reste du passé quelques belles habitudes. Comment renoncer à ce côté brillant et parfois excessif où l'on s'est abreuvé de vin blanc, étourdi de jeux et de cotillons ? Tout ce qui décrit l'amour de la vie en décrit du même coup, et c'est le malheur de ce tournant du siècle, la vanité. Nombre de nos héros, c'est un symptôme, vont connaître des dégénérescences, de l'aphasie au suicide, en passant par l'internement asilaire.
Ce memento mori est le moment privilégié de la confession. Nous autres, frottés de ce moralisme des romans-fleuves de la même époque, savons que toute narration plonge dans un passé dont les eaux sont parfois troubles, parfois embellies de reflets utopiques mais toujours constitutives d'une folie sans laquelle le lien social ne serait que celui de la pure et simple fourmilière. Proust a beau dire que la danse nuptiale du bourdon régit nos rapports amoureux, encore faut-il qu'un observateur en saisisse pour notre plaisir (ou pour notre confusion) les figures incompréhensibles d'un désir mécanique : c'est le cas de ces allées et venues, de ces recompositions voulues puis impossibles, de ces cercles aussi indispensables que contraignants.
Bánffy, " ce conteur né " (E. Reichman), excelle à nous promener dans une Transylvanie splendide, dont les descriptions nous éblouissent et qui va servir de cadre à l'idylle sinusoïdale du couple central, Adrienne la femme mariée, Bálint l'homme public. Mais les projets de Bálint, même lorsque Adrienne sera libre à la suite de son veuvage, même lorsqu'il caresse un avenir politique qui s'annonce brillant, échouent au port - il est vrai que sonne l'heure de la guerre. Mais, au fond, Bálint est plutôt l'homme des bilans. N'est-il pas tout compte fait le double du narrateur, un diplomate désenchanté, un Chateaubriand de la Mitteleuropa oe
Très belle trilogie sur la fin d'un époque.
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