"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Entre un père joueur de poker et une mère timide, Youssef vit à Beyrouth dans un monde imprégné de sensualité et de mystère. Les mélodies de l'hébreu qu'il entend chez lui se mêlent aux sonorités de la rue arabe. La crise de Suez n'est encore qu'une lointaine rumeur. Ce qui l'occupe, c'est l'éveil au sexe, le tumulte de peur et de désir qu'il sent monter en lui.
Vingt ans après, en Mai 68, il s'engage en politique pour rencontrer des filles. Mais l'Histoire le prend au sérieux. Il se retrouve en prison et découvre qu'une véritable guerre civile coule dans les entrailles du pays.
Lorsque l'armée israélienne envahit le Liban pour en chasser les combattants palestiniens, il quitte Paris où il est devenu journaliste et revient à Beyrouth couvrir de l'intérieur le siège de sa ville. Dans les rues dévastées et les immeubles éventrés par la guerre se renouent les fils de son destin.
Chant d'amour pour une ville mythique, Le Tumulte décrit magistralement le mélange de tragique et de picaresque qui colore l'un des derniers grands conflits du vingtième siècle.
Dans le contexte actuel d'un Liban agonisant, le Tumulte fait revivre son Liban autour de trois temps forts avec les émotions intactes d'un auteur qui assume l'autofiction tant son personnage lui ressemble : Youssef Hosni, né dans une famille juive d'origine syrienne exilé à Beyrouth, jeune homme épris de justice et de liberté, devenu journaliste en France ( notamment l'envoyé spécial du journal Libération durant la guerre du Liban ). Ou comment la violence du monde vient façonner les destins individuels.
Le roman est divisé en trois parties parfaitement distinctes, toute centrée sur un moment fort de l'histoire du Liban. La première partie est une évocation poétique de l'enfance. Située en 1956, on découvre le narrateur à la veille de sa bar-mitzvah. L'éducation sentimentale et l'éveil à la sexualité occultent les questions autour de la crise de Suez et de l'occupation du Sinaï par l'armée israélienne. A treize ans, les préoccupations sont bien loin de la gravité de la guerre. Les pages sont souvent tendres et drôles, toujours empreintes de nostalgie.
Dans la deuxième partie, le récit change de tonalité et se fait plus ouvertement politique. En 1968, la vague libertaire est là et permet à chacun de s'extraire de son origine ethnique ou sociale pour se choisir une communauté d'idées. Youssef fait partie des leaders du mouvement étudiant tendance extrême-gauche. Il fait l'amère expérience des échauffourées avec les phalangistes ( parti politique chrétien ultra nationaliste de Gemayel ) puis de la prison prisons, quelques semaines après la Guerre des Six jours. C'est le temps de l'exode pour beaucoup.
Et dans la troisième partie, en 1982, journaliste installé en France , il retourne au Liban pour couvrir la guerre civile libanaise. C'est le temps des retrouvailles avec les amis de jeunesse dans un Beyrouth ravagée et assiégée par l'armée israélienne soutenue par les Phalangistes. Jusqu'aux massacres des réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, extrêmement bien racontés à hauteur d'hommes pour faire sentir l'absurdité tragique de la guerre dans la poussière et le sang.
Ce roman est incontestablement ambitieux. Sa lecture, exigeante, demande un minimum de connaissances géopolitiques du Moyen-Orient ou de faire quelques recherches pour préciser certains points ( ce que j'ai fait assez souvent). La trame narrative peut ainsi sembler parfois peu lisible, voire confuse. Et pas seulement à cause de la masse d'informations historiques délivrées. le fait de proposer trois parties avec autant d'ellipses temporelles ( 1956 puis 1968 puis 1982 ) nécessite une réelle concentration pour raccrocher les informations et suivre le parcours de Youssef.
Malgré cette réserve, j'ai suivi Youssef sans le lâcher, touché par sa sensibilité, son engagement et son amour pour la capitale libanaise, vérifiant l'adage « Beyrouth te suivra jusqu'à ton dernier souffle, où que tu sois. » On ressent toute la passion et la sincérité de l'auteur. Et c'est passionnant de déambuler dans Beyrouth en sentant la main de l'auteur nous guider. On pleure avec lui la perte d'un Liban cosmopolite, ouvert à l'autre, on déplore avec lui la fin d'un rêve national où chacun appartiendrait à son pays avant d'appartenir à une confession. Surtout, on comprend comment le peuple libanais s'est fait déposséder de sa volonté de vivre ensemble dans un pays devenu le terrain de jeu des extrémismes chiites, sunnites, maronites, des pays voisins et communauté internationale plus largement.
On ne lui prendra pas Beyrouth
J’ai beaucoup aimé la construction de ce livre en triptyque. Premier tableau l’enfant qui est avide de grandir, nous sommes en 1956 et Youssef Hosni a 13 ans, puis l’étudiant en 1968 et les actions en faveur du progressisme, et 1982 le journaliste qui couvre les conflits.
C’est à travers ce roman aux accents autobiographiques la mémoire du Liban qui se déroule sous nos yeux et comment on a laminé ce pays. Les émotions sont intactes et Sélim Nassib nous les fait vivre pleinement.
La première partie est celle de l’enfant qui veut sortir des limbes de cette période, il veut vivre la sensualité, la sexualité devenir un homme.
Au sein de sa famille, il est pressé de tout voir, de tout comprendre et de tout vivre. C’est pour le lecteur une façon d’appréhender les us et coutumes de ce pays.
« Treize ans est l’âge fixé par Dieu lui-même, des forces supérieures se conjugueront à la seconde dite et me feront changer d’état. Alors j’entrerai dans le monde de Rocco, libéré de toute tutelle, responsable de mes actes, comptant dans le miniane et la prière des morts, sexuellement puissant, faisant partie de la tribu, libre de la quitter enfin. »
Sa mère enceinte à 20 ans a finalement été épousée par le père, joueur de poker invétéré, qui n’a rien changé à ses habitudes et qui est recherché pour dettes de jeu et met sa famille en danger. Mais le couple restera ensemble. L’oncle Victor est un pilier, c’est lui qui met la famille à l’abri quand les évènements sont menaçants.
Rocco le copain plus âgé, sorte de petit voyou, va faire des études de lettres et quittera le quartier juif pour vivre au milieu des musulmans.
Fouad autre figure de la jeunesse deviendra avocat.
Youssef fera des études à Paris et fera des aller-retour régulièrement entre Paris et Beyrouth.
« La guerre a changé les choses du tout au tout ... Et tout devient vrai : ce n’est pas une guerre parmi d’autres, vite venue vite passée, mais un évènement historique majeur capable de déclencher l’exode de toute une communauté — jusqu’à atteindre les êtres les plus rétifs au changement . »
C’est un livre très réaliste, d’une densité qui peut décourager et qui aurait mérité une trilogie.
La narration est puissante, l’écriture rythmée et le lecteur ressent bien la nécessité de témoigner sur ce Liban qui est toujours en effervescence et dans l’actualité.
Je trouve que la forme du roman fait perdurer ce passage de témoin et comme l’écrit l’auteur :
« Beyrouth te suivra jusqu’à ton dernier souffle, où que tu sois, c’est elle qui te fermera les yeux. »
Lu dans le cadre du Prix du Roman FNAC 2022 et toujours en lice.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/08/30/le-tumulte/
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