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Principal « protagoniste » de ce roman, La Secrète est le nom d'un vaste domaine dans les montagnes d'Antioquia, au coeur des Andes et de la zone de production du célèbre café de Colombie. Il donne son titre à cette grande saga familiale contemporaine qui se structure polyphoniquement autour de trois voix, trois récits parallèles intelligemment interconnectés. Le premier est tenu par la soeur ainée, Pilar Angel, la gardienne du logis, de la terre, de l'héritage, celle qui refuse de vendre La Secrète et est prête à assumer les compromis les plus dangereux pour la garder en tant que patrimoine commun et mémoire familiale. Mariée avec Alberto depuis quarante ans, mère de trois enfants, héritière des bijoux et des meubles, Pilar passe la majeure partie de l'année à La Secrète et s'occupe de l'entretien de la vieille demeure familiale. Le deuxième récit est celui d'Antonio (Toño) Angel, jeune gay colombien qui habite New York. Il y est violoniste dans l'un des orchestres de la ville et vit une longue histoire d'amour avec son compagnon Jon, un artiste conceptuel afro-américain qui n'aime pas particulièrement aller en Colombie ni passer des vacances dans une région montagneuses où les guérilleros, les paramilitaires et les narcotrafiquants font souvent régner la terreur. Comme pour compenser ses absences ou pour se faire pardonner son infidélité à la famille, Antonio consacre son temps libre à des recherches généalogiques et historiques sur les origines de la ferme et de la famille Angel. C'est grâce à lui, et à son récit, que le roman devient une véritable saga familiale : il nous raconte un chapitre méconnu de l'épopée du café et de la diaspora juive en Amérique latine. Enfin, le troisième récit, le plus palpitant, le plus terrifiant, celui qui accroche le lecteur dès le début du roman, est celui d'Eva, la brebis galeuse. Cette jeune et belle femme moderne (ou postmoderne) qui a eu trois maris et s'adonne aussi occasionnellement aux plaisirs lesbiens, ne veut que rien ne l'attache à cette terre où elle a failli laisser la vie. La narration de la longue nuit tropicale où des hommes armés (paramilitaires, narcotrafiquants ?) essaient de la tuer est sans conteste l'un des moments forts de ce livre. La Secrète est d'une lecture très agréable et s'offre diversement à chaque lecteur : soit dans l'épopée des Juifs colombiens et dans l'aventure du développement de la production de café ; soit dans le récit de la vie d'un homosexuel dans un pays machiste et intransigeant ; soit dans la recherche d'un compromis entre tradition et changement au sein d'une famille dont l'unité est toujours fragile ; soit dans la quête d'une forme d'existence authentique de la part d'une femme colombienne qui ne veut pas ressembler à ses aînées. Les lecteurs de l'Oubli que nous serons (Gallimard, 2011) retrouveront ici toute la finesse et la sensibilité dont Abad fait preuve lorsqu'il conte la vie intime d'une famille ; ceux qui ne le connaissent pas encore vont découvrir un romancier capable de leur faire appréhender différemment l'histoire à la fois magique et violente de la Colombie contemporaine.
En pleine jungle, au coeur des montagnes de la province d’Antioquia au nord-ouest de la Colombie, la Secrète est la demeure des Angel depuis un siècle et demi et l’arrivée des premiers colons dans la région. Anita, ultime pierre angulaire de la famille, vient de mourir, laissant la demeure et ses plantations de tecks et de caféiers à ses trois enfants. L’aînée Pilar, gardienne des lieux et des traditions familiales, s’est toujours consacrée à la sauvegarde de la propriété et a promis sur le lit de mort de son père de ne jamais vendre le domaine. Antonio, violoniste exilé à New York pour y vivre son homosexualité au grand jour, revient régulièrement passer ses vacances à la Secrète à laquelle il est viscéralement lié. Eva, femme émancipée attachée à son indépendance, a pris la maison en grippe depuis qu’elle y a échappé de justesse aux représailles de racketteurs. Quel sort la fratrie va-t-elle décider pour la Secrète ?
Alternant constamment les voix de chacun des frère et sœurs et leurs récits des liens indéfectibles qu’ils ont noués avec la maison de leur enfance, le roman retrace peu à peu l’histoire de cette famille et, à travers elle, celle du pays tout entier. Terre de pionniers conquise de haute lutte sur la forêt et la montagne, réceptacle de l’attachement viscéral de générations qui se sont éreintées à la domestiquer, la Secrète a traversé avec les Angel tous les soubresauts du pays. Guerres civiles et coups d’état, affrontements entre libéraux et conservateurs, vagues successives d’« envahisseurs » : guérilleros marxistes, paramilitaires, narco-trafiquants et, en dernier lieu, compagnies minières et promoteurs immobiliers … Jusqu’ici, la famille a su plier et rebondir, parfois en payant le prix fort, et rien n’a pu la déraciner de ce lieu défendu bec et ongles contre les agressions, autant humaines que naturelles et climatiques. Pourtant, après tant de péripéties et de dangers traversés, l’éclatement de la dernière génération ainsi que l’envie d’une vie libre et confortable pourraient bien, assez ironiquement, mettre un terme à l‘épopée de la Secrète, rattrapée, comme tant d’autres grandes demeures devenues trop lourdes pour leurs propriétaires, par les contraintes économiques et par l’urbanisation.
Si j’ai apprécié le versant historique du roman et la connotation nostalgique d’un récit que le passage du temps, le poids du destin et la cruauté du hasard imprègnent d’une saveur douce-amère, j’ai trouvé lassante la lenteur d’un texte qui semble souvent tourner autour de son sujet. Même si sa lecture nécessite quelque effort, ce livre aux accents sans doute autobiographiques reste indéniablement une œuvre intéressante sur l’ambivalence humaine entre attachement aux racines et envie d’émancipation, besoin d’ancrage et rêve de liberté. Une chose est sûre : l’exilé ne retrouvera jamais intact ce qu’il a laissé…
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