"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Berlin, un certain dimanche matin. Une petite fille qui joue innocemment à la marelle lève soudain le nez et découvre un type en train de cimenter des briques qui coupent sa rue. Le même jour qui marque le début de la construction du Mur de Berlin, Hans, le petit dernier de Manfred et de Christa Müller, décide de naître. La saga romanesque de La Famille Müller vient de commencer pour nous entraîner dans l'Europe du XXème siècle, de la guerre froide à nos jours. Terre Ciel Enfer en est le premier volume :
« L'instruction de la jeunesse n'avait échappé à aucun dirigeant politique. L'enjeu était de taille et le formatage un devoir. Entretenir les jeunes pousses et récolter plus tard les fruits de la fidélité au régime, les convaincre de chasser les parasites, de se tenir prêt à retrousser leurs manches pour laver les affronts. Et comme par enchantement, comme si un mage avait agité sa baguette magique et prononcé quelques injonctions ensorcelantes, les jeunes réunis dans la salle de section, visages rendus blafards par les néons, se lèvent d'un seul élan et s'emparent qui de truelles, qui de pelles, qui de sac de ciment, qui de rouleau de fer barbelé. Rottluf et Weisenberg se congratulent, prêts à en découdre eux aussi avec le frère ennemi ouest-allemand.
Bref chacun s'équipe pour participer à l'érection d'un mur comme les enfants sur la plage érigent des murailles de sable pour arrêter la marée. C'est vain et désespéré mais ludique, et pendant ce temps, les parents sont rassurés, les enfants sont occupés et restent à portée de vue. Au moins, ils ne sont pas distraits par des tentations douteuses, au moins ils servent une cause légitime, au moins l'opération Muraille de Chine est lancée. Le secret avait été bien gardé. L'armée, secondée par les sections de la jeunesse - des jeunes appelés tout juste sortis de l'adolescence pour certains, tout juste adultes pour d'autres -, se mettait à l'oeuvre avant les premières lueurs de l'aube. À la surprise générale, Berlin Ouest se faisait emprisonner. Emmurer. À ciel ouvert. Désormais, seuls les étourneaux et les hirondelles n'auraient pas besoin de visa ».
Une marelle entre « Terre, Ciel, Enfer ». Sauter les cases à pas de ténacité, s’arrêter. Attendre la venue de l’écriture savante de Laurent Maindon, comprise, éperdument lucide et travailleuse.
Un corps à corps avec une trame qui ne cède rien face à l’adversité.
Retenez bien ce volume 1, le premier d’une saga historique, apprenante, enivrée de sentiments.
La famille Müller en apogée. Dans cette dernière je demande la mère, Christa, une femme énigmatique pour les siens. Le père, Manfred, un homme résistant et convaincu. La fille, Eva, petite mère pour son frère qui sera son bienfaiteur. Pas maintenant, pas tout de suite.
Et le fils, Hans, le tout petit qui naît dans les prémices du Mur de Berlin.
« Chers auditeurs, ce dimanche matin restera dans nos corps et nos âmes bien plus encore que ne durent les édifices de pierre ».
Un bulletin météo, 7h02, la radio berlinoise, annonciatrice d’un séisme tragique pour toute la population allemande.
Eva comprend. Dans l’estivale chaleur, des hommes, pierre après pierre façonnent un mur. L’infranchissable et les mains futures accrochées aux barbelés.
« Vous déchirez nos familles ! Tu n’as donc pas de frères et sœurs chez nous ? Des cousins ou des cousines ? ».
Côte Est, côté Ouest, les déchirures comme du papier froissé jeté en pâture. Les soldats veillent. L’ordre est à la soumission, aux diktats politiques. Qu’importe les sanglots, les familles séparées.
Reste le diapason d’une foi pour son camp. L’Est, l’Ouest, certains devenus ennemis à la vie à la mort.
L’Est et ses privations ou son idéal. Tout dépend des convictions qui sont les lois. La terre tremble, le ciel est zébré d’éclairs et l’enfer règne.
« - Faites vos bagages et venez nous rejoindre ! hurlent certains.
- Sautez tout de suite ! Scandent les autres .
Cris et pleurs contrastent avec le silence des ouvriers qui ne s’arrêtent pas ».
Manfred et Christa côté Ouest, et elle séparée des siens, communistes convaincus. Les repas de famille ancestraux, de rage, de colère et d’intolérance. La fureur des différences idéologiques. Elle ne reverra plus son père et sa mère vivants. Elle, dont son antre vacille malgré la puissance des fondations. Le délabrement, l’apocalypse. Il n’y a plus d’horizon. C’est un labyrinthe qui cache la vue. Celui des intériorités inachevées, tristes et frustrées.
Comment ce jeune couple peut-il résister ? Hans, qui est né le jour fatal de la première pierre, qui fera monter l’édifice des larmes jusqu’en enfer. Eva, petite fille qui se fraie un chemin dans les sous-bois de son enfance. Christa qui se fissure. Le corps en bataille sous les non-dits.
« Une chape de plomb s’abat lourdement. Close pour longtemps, la cave des origines ».
« Hans a cinq ans et pour la première fois, ils quittent Berlin depuis la construction du Mur ». Le rideau de fer omniprésent, mais la navigation dans la prison à ciel ouvert est manichéenne. Elle a des allures de frénésie et de liberté et dans un même tempo c’est le rocher de Sisyphe. Coffres fouillés, l’impudeur, les journaux confisqués. Franchir la frontière, défier l’enfer et les autres. Mais la vie est un écueil. Les blessures incommensurables, Christa est fragile, trop. Rêveuse, mélancolique, assoiffée d’amitié particulière. Hans est un emblème. Il est le Mur de Berlin. Venu au monde dans ce funèbre chaos. Son corps comme un écho, la destinée d’un peuple qui signe son dernier voyage. L’immensité du monde, le mal dans son summum. Les barbelés ont des secrets, des convoitises, des espérances et des sanglots longs.
L’enfance aux abois, la prose des souffrances.
Ce premier volume est d’une sincérité radicale. Une épopée d’ombre plus que de lumière.
L’Europe et l’Histoire qui dévore la famille Müller.
1972, « les frontières s’entrouvrent le temps d’un week-end... ».
Que reste-t-il des miettes dans le caniveau des endurances ? Ce livre immensément émouvant, sensible, d’une justesse sans faille est comme un rêve blessé dans sa chair. Viscéralement mémoriel, tant l’Histoire sonne encore le glas longtemps après le point final. La famille Müller entre terre, ciel et enfer. La mission même d’une littérature vertigineuse et profondément humaine. Un livre sur le sacrifice et l’infinie douleur des échecs du monde. Publié par les majeures Éditions Le Ver à Soie.
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