"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un fils est prêt à tout pour adoucir les derniers jours de son père malade. Tous les soirs, il lui tient compagnie, lui parle du splendide milan qu'il a vu dans un magasin et qu'il désire ardemment posséder. Lorsque la neige commence à tomber, lorsque la mort se met à rôder, le garçon prend peur : et si son père partait avant d'avoir pu admirer le milan ?
Récit intimiste au ton juste pour décrire une relation père-fils affectueuse et émouvante.
L’atmosphère est froide et incisive. Les silences sont aussi forts que le choix précis des mots.
Le texte est court, concis et épuré pour relater l’intimité d’une fin de vie paternelle liée au futur inconnu d’un fils adolescent ombré d’envols brisés où malgré tout, tout espoir est permis.
La sensation des bruits, le contraste des lumières et des ombres sont remarquablement transcrits.
Image de l’ultime fatigue d’un mourant face au dynamisme d’un jeune adolescent qui, gagnant difficilement sa vie en promenant des vieux dans un hospice, n’hésite pas à empocher des sous pour tuer des portées de chatons ou, sur demande de riches héritiers qui veulent se débarrasser d’une chienne encombrante, l’abandonne lâchement dans une forêt de mélèzes écrasés sous le poids de la neige. Un trajet inquiétant où on se perd facilement, où le froid glacial fait perdre chaleur vitale, bottes et orientation.
Avec les sous, il va assouvir le désir incompressible de s’approprier un milan vivant capturé et en cage, perdu et en danger dans le bric-à-brac d’un marchand sans cœur.
Il aura inventé la capture du rapace qu’il aura souvent raconté à son père au grand plaisir de ce dernier.
Après avoir acheté l’oiseau, il place au bout du lit de son père, ce milan dans sa cage qu’il aura récurée. Enfin pas tout à fait. D’abord sous la fenêtre face au lit puis, jour après jour, centimètre après centimètre, il rapprochera l’oiseau au plus près du bout du lit dans la chambre sombre du foyer modeste, devant la fenêtre animée par le ciel des saisons.
Le rapace sauvé du froid mortel chez le marchand ingrat, malgré tout privé de son envol, recevra de la bonne viande mais surtout nourrira les derniers moments de partage et d’amour, cristallisant ainsi la complicité entre le mourant et son enfant.
C’est émouvant, tendre et glacial pour exprimer l’intimité des derniers souffles de vie au crédit d’une mort donnée et d’envols brisés.
A la mort du père, on subodore que l’oiseau passera l’écran de la fenêtre et reprendra sa liberté dans un ciel décrit au quotidien alors que le jeune adolescent appliqué à cirer les bottes héritées du père, saura lui aussi trouver les pas vers sa liberté.
L’écriture est comme la mère, forte, fragile, lessivée, rincée et douce comme le souffle symbolisé.
Il m’a semblé desceller dans ces 126 pages (éditées en 2000) une ébauche de ce qu’allaient devenir les romans à succès de Hubert Mingarelli avec « Quatre soldats » (édité en 2003) ; « L’homme qui avait soif » édité en 2014 ; ou encore « La route de Breit Zera » édité en 2015, des textes où on retrouve la mise en scène de jeunes hommes issus de milieux modestes pris dans les rets difficiles de la vie et des parentés, des paysages de forêts enneigées où on se perd, des bottes qui y restent enlisées et s’usent au fil des pas, les déluges du printemps succédant aux hivers rudes et glaciaux et le goutte à goutte de l’eau vitale qu’on entend comme le bruit d’un métronome rythmant des existences épuisées mais pourvues de courage, de volonté et d’espoir.
Il y a toujours de la lumière au fond des ténèbres ‘mingarelliennes’.
Les romans de Hubert Mingarelli sont des romans d’atmosphère minimalistes, ni noirs ni tristes mais sombres et tendus où les jeux d’ombre et de lumière en font des écrits lumineux et absolument remarquables.
L’an dernier, en 2019, le comité Goncourt n’a pas eu l’élégance de reconnaitre son œuvre alors que l’auteur était en lice avec un excellent livre « La terre invisible » et en phase finale d’un cancer connu de tous auquel il a succombé le 27 janvier 2020.
La disparition de cet auteur talentueux fait résonner un immense vide dans ma bibliothèque et mon cœur.
Publications :
Le Secret du funambule, Milan, coll. Zanzibar, 1990
Le Bruit du vent, Gallimard Page blanche, 1991 ; nouv. édition en Page blanche, 1998 ; Folio junior, 2003, puis 2013
La Lumière volée, Gallimard Page blanche, 1993 ; nouv. édition en Page blanche, 1999 ; Folio junior, 2009 puis 2012
Le Jour de la cavalerie, Le Seuil, 1995 ; Points Seuil, 2003
L'Arbre, Le Seuil, 1996.
Vie de sable, Le Seuil,1998.
Une rivière verte et silencieuse, Le Seuil, 1999 ; Points Seuil, 2001
La Dernière Neige, Le Seuil, 2000 ; Points Seuil, 2002
La Beauté des loutres, Le Seuil, 2002 ; Points Seuil, 2004
Quatre Soldats, Le Seuil, 2003. (Prix Médicis) ; Points Seuil, 2004
Hommes sans mère, Le Seuil, 2004 ; Points Seuil, 2005
Le Voyage d'Eladio, Le Seuil, 2005.
Océan Pacifique, Le Seuil, 2006.
Marcher sur la rivière, Le Seuil, 2007.
La Promesse, Le Seuil, 2009.
L'Année du soulèvement, Le Seuil, 2010.
La Lettre de Buenos Aires, Buchet/Chastel, 2011
La Source, Cadex, 2012
Un repas en hiver, Stock, 2012
L'Homme qui avait soif, Stock, 2014
L'Incendie, avec Antoine Choplin, Éditions La Fosse aux ours, 2015
La Route de Beit Zera, Stock, 2015 ; Points Seuil, 2016
Une histoire de tempête, Éditions du sonneur, 2015
La Terre invisible, Buchet/Chastel, 2019
Prix littéraires
1995 - Prix 12/17 Brive-Montréal
2002 - Prix Erckmann-Chatrian pour La Beauté des loutres
2003 - Prix Médicis pour Quatre Soldats
2006 - Prix Livre & Mer Henri-Queffélec
2014 - Prix Landerneau pour L'Homme qui avait soif
2014 - Prix Louis-Guilloux pour L'Homme qui avait soif
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je suis aussi lectrice assidue de cet auteur trop tôt disparu