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Le temps presse et mes forces déclinent. Me voilà à l'instant de la conclusion comme un marathonien du siècle dont la chair porte les stigmates d'un bonheur percuté en plein vol. Mes souvenirs restent toujours clair obscurs, à la fois baignés par le soleil d'Égypte et déchirés par un exil forcé en France. Je suis de ceux qui ont du fuir leur chair et leur sang, leur lumière et leur raison d'être, pour continuer à vivre libre. Je suis de ceux qui ont du fuir leur pays. L'exil. Le gout de l'exil est comme un tatouage. Il vous imprègne à vie. Il s'infiltre, élixir têtu de noirceur, à l'intérieur de chacun des mot, pensée, regard, geste, mouvement, jusqu'à en être assourdi de remords. Même l'ombre se confond en nostalgie, parfois, souvent, épousant un galet, un trottoir, une terrasse pour peu qu'elle soit offerte au soleil. Voici mon destin, voici ma qualité, voici mon identité : je suis copte de terre et de sang, copte comme l'Égypte et comme tous mes semblables, humilié, chassé mais invaincu. Copte, ou encore chrétien d'orient, chrétien d'Égypte. Mes ancêtres, et les leurs aussi, étaient sur cette terre peuple de Pharaon dès les premières lueurs de la civilisation, avant même le christianisme, bâtissant les temples jusqu'aux limites de la grandeur, honorant les dieux; Isis d'abord, le regard plein d'espoir, et Osiris, tremblant à son évocation. Eux encore, nos ancêtres menant la guerre pour Pharaon ou consignant sur de larges papyrus, scribes des puissants, l'histoire qu'il fallait transmettre. Et puis encore sous un soleil cruel, la main posée sur la pierre et le couteau fraîchement aiguisé, sculptant en bas relief la vie de celui qui fera le voyage vers l'autre vie, vers l'autre rive. Les voilà donc, les ombres et les visages qui habitaient l'Égypte ancienne, mes ancêtres nés sur cette terre avant tous les envahisseurs, grecs, romains, byzantins, arabes. Je les imagine souvent dans un voile de sable. Je les vois fiers et travailleurs, obéissant à la Loi et aux signes des dieux, observant le ciel, l'oeil posé sur les arrêtes des pyramides et pensant que le temps serait ainsi, infini et sans bouleversement. Si lent, si long, si riche. Et les prêtres, les yeux cernés de noirs, puissants et initiés, leur dire au coeur de leur labeur : «vous êtes une image de nos dieux, vous êtes dignes de leur amour et capables d'y répondre». J'ai longtemps gardé le silence, mais sans rien nier. J'ai longtemps gardé le silence pour continuer à vivre sans me retourner dans les rues ou dans les lieux publics. C'est l'histoire de ma vie, et c'est de cette histoire dont je veux vous parler ce soir. Le moment est venu : je suis au seuil de mon grand voyage, prêt à partir, et comme un hasard improbable, l'actualité offre un rappel à la mémoire, un relent de guerre de religions sous l'atroce forme d'un attentat anti-copte devant une église d'Alexandrie. C'est l'humilité qui me commande, et les souvenirs qui me constituent seront plus un témoignage qu'une leçon ou une morale. J'ai l'espoir qu'apporter ma voix aujourd'hui, aussi infime soit-elle, peut contribuer à la compréhension de notre peuple et de son chemin de calvaire. Et ce soir, j'espère, d'autres voix encore se mêleront à la mienne, coptes aussi, des voix fières, levant la tête et refusant le silence pour qu'un écho grandisse. Un écho fait de ces bribes de vies, les vôtres, les miennes, qui mises bout à bout formeraient un torrent de contradictions et de révélations contre la parole verrouillée, hégémonique et officielle des pouvoirs en place qui nient nos épreuves et alimentent, par leur surdité, cette volonté permanente depuis tant d'années de nous voir disparaître. Je ne me sens pourtant pas la force d'ouvrir toute l'histoire des Coptes, si imposante, lourde à manier et remontant plus loin encore que la mémoire de ce pays.
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