"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«La Syrie ? Que savons-nous d'elle ? Avouons-le sans faux orgueil : quelques réminiscences historiques sur les croisades, quelques pages célèbres, les beaux noms de Damas, de Palmyre, de l'Euphrate, voilà tout notre bagage pour une grande et féconde contrée placée sous Mandat français. Mais qui discerne l'importance de ce Mandat ? Qui - à part de très rares spécialistes - pourrait tracer la physionomie politique de ce pays ? Qui expliquerait pourquoi l'on s'y bat et qui se bat ? Ce berceau des civilisations, ce lieu de passage prédestiné, dont la richesse et la beauté ont retenu, sans les mêler, tant de peuples, cette terre où poussent avec une force ardente les croyances et les hérésies, déroute et confond.» Le premier reportage de Joseph Kessel, publié en 1926. Des pages d'une surprenante actualité.
En 1926, Joseph Kessel part pour la Syrie pendant plusieurs semaines. Son récit de voyage, présenté dans ce livre, est un document pour tous ceux qui souhaitent mieux comprendre ce pays. À cette époque, la Syrie est sous mandat français et déjà en proie à des luttes, des guérillas intestines.
De Beyrouth, à Damas, des mess d’aviateurs au bombardement de Soueïda, le journaliste nous livre les portraits des personnes qu’il croise, nous décrit un pays à la beauté fascinante et complexe. L’Orient est une mosaïque de peuples qui ont du mal à coexister : chrétiens, musulmans, druzes, tcherkesses, bédouins. Les mots sont puissants, l’écriture souvent lyrique exalte le courage des soldats qui se battent sur place pour maintenir un semblant de paix. Joseph Kessel nous livre aussi ses réflexions politiques sur la place de la France dans ce pays, les changements trop nombreux des fonctionnaires . Il revendique une action sur place qui doit rester « ferme et courtoise », les réflexes colonialistes ne sont pas loin.
Il n’empêche, on reste saisi par son analyse fine de ce pays à l’époque si peu connu. Damas et ses jardins, la ville souterraine de Beyrouth, le ballet des gazelles croisées sur la route, les visions aériennes de paysages grandioses. Le grand reporter découvre et l’on est séduit par son écriture précise et littéraire.
Dans le premier article, l’auteur rappelle son amour pour l’Orient : » On ne va pas à lui. Il faut qu’il vienne à vous et pour cela il faut du temps ». Une phrase m’a particulièrement touchée dans sa description : » Les espaces où l’on sent Dieu – non pas le Dieu étriqué par les religions mais le Dieu des terres et des mers et des plantes et des pierres ».
« J’aime l’Orient et c’est là ma seule excuse d’en vouloir parler. Car je le connais mal. On ne va pas à lui. Il faut qu’il vienne à vous et pour cela il faut du temps. Or j’ai passé, en deux fois, trois ou quatre semaines en Syrie. C’est tout. Et encore ai-je dû les vivre en journaliste. C’est-à-dire en perdant la plupart de mes journées avec des généraux et des hauts fonctionnaires. Que le lecteur ne s’alarme point. Il ne sera pas question d’eux ici. Néanmoins ces préoccupations ont orienté mes voyages selon la ligne des intrigues et des combats. On en retrouvera forcément la trace dans cette relation. (…) Voici quelques images. C’est tout.»
Le travail des journalistes reporters et les écrivains voyageurs ont un rôle de mémoire essentiel au nom de l’Histoire de notre monde. Par leurs précieux témoignages, jalons du passé à nos jours, ils contribuent à conserver maillon après maillon, la mémoire de la chaîne humaine et géo politique planétaire. Joseph Kessel a été un de ceux-là et des plus talentueux.
« En Syrie » est le premier reportage écrit par Kessel en plusieurs courts articles, paru en 1926, alors que ce pays était sous mandat français.
Sur le terrain, Kessel s’est intéressé aux Ismaïlié chez les Allaouïtes, aux Bédouins chammars, des gens du Nedj, aux Druzes, aux Tcherkesses originaires du Caucase et aux combats de l’époque entre l’Etat d’Alep, l’Etat de Damas, le Djebel des rebelles Druses où l’armée française piétine, Beyrouth et le grand Liban et le territoire des Alaouites ainsi qu’à un soldat de l’armée française, le capitaine Colet, qui modeste et efficace, avait compris et aimé le peuple arabe en s’appliquant à connaitre et respecter ses habitudes et traditions au contraire des hauts commissaires campés dans leurs bureaux à donner des ordres stupides ne faisant que créer des désordres et des fissures de plus en plus larges et dangereuses. Colet sera une légende en Syrie quand, à cause de sa jeunesse, il n’obtiendra aucune reconnaissance de la part de la France.
« Et je compris l’indignation des camarades du capitaine Colet à voir qu’on lui refusait encore la rosette de la Légion d’honneur, cette rosette que l’on ne marchande jamais à un financier véreux ou à quelque tenancier de tripot ».
« Les allaouites, les achémites, les maronites, les sunnites, les Grecs orthodoxes, les chiites, le comité syro-palestinien, les bandits, les rebelles, les Druses du Djebel et ceux du Horan, les Libanais, les Syriens, les Damascains – et j’en passe – comment s’y reconnaître ? Il y a vingt-sept religions en Syrie. Chacune d’elle tient lieu de nationalité. Et les influences les plus diverses sollicitent moralement et matériellement ce chaos ».
Toujours est-il que de tout temps, nos schémas occidentaux sont loin d’être adaptés à ce pays complexe aux communautés ethniques et religieuses différentes qui n’ont de cesse de s’affronter dans leurs divergences ce qui, à l’époque, mit à mal le pouvoir d’apaisement souhaité par la France mandataire et résonne jusqu’à nos jours.
« Les Chrétiens ont la puissance de la culture européenne et de la richesse ; les Druses, celle d’un peuple pauvre et guerrier. Ces deux groupes forment chacun un bloc, résolu à défendre ses intérêts et ses traditions. Entre eux, la masse islamique informe, patiente, inculte, attend une impulsion venue d’elle ne sait où. Des mouvements spasmodiques la parcourent de temps en temps. »
« La Syrie vaut la peine d’un grand effort. Le fait que déjà se montrent des prétendants à l’héritage du mandat français le prouve suffisamment. Mais, je le répète, mieux vaut abandonner la partie que de s’user à la jouer mal. »
Ces quelques pages de Kessel sont magnifiquement brossées et nous font visiter la Syrie de toutes parts :
« Jardins de Damas, les plus beaux que je connaisse ! Ondoyants, odorants, ils enserrent de leur douce étreinte les quartiers indécis qui s’infléchissent mollement au gré des arbres. Il semble que dans cette grande mer verte les maisons ne soient que des barques mal arrimées. Jardins de Damas, les plus beaux, certes, mais les plus dangereux aussi. »
« Soudain, à un carrefour, éclata la lumière. Nous étions devant un café à moitié enfoui dans le sol, violemment illuminé à l’acétylène. Une quarantaine d’hommes en garnissaient les bancs et tiraient en silence sur les narguilés. Leurs oripeaux bariolés, les taches crues de leurs tarbouches étaient moins saisissants que leurs figures. »
« Plus de verdure, plus de teintes exquises, plus même de ces dessins capricieux que font les parcs à bestiaux. Un chaos pierreux, des ondulations convulsées, une masse volcanique, tourmentée, ravinée, creusée d’ombres, de coulées de lave, un désert dantesque où, çà et là, brillent comme des pierreries, des flaques d’eau bleue ; c’est le Léja, avant-poste du Djebel Druse. »
Avec une écriture exceptionnelle, Joseph Kessel nous livre des réflexions aux mots justes pour un riche héritage de mémoire et offre un témoignage utile à notre compréhension concernant l’histoire orientale dans laquelle nous pataugeons toujours…
Un ‘must’ de 88 pages chez Folio.
Plusieurs reportages de Joseph Kessel sont réunis dans ce petit livre. Ce qui en fait son intérêt, au-delà même que c’est un livre de Kessel, est qu’il a été écrit il y a 90 ans, lorsque la Syrie était sous mandat français.
C’est une page d’Histoire et comme toute page d’Histoire il éclaire le présent. Kessel nous décrit la mosaïque ethnique et religieuse de ce pays du proche orient. Peut-être la situation d’autodestruction de la Syrie puise-t-elle une partie de ses racines dans cette complexité. Je ne suis pas spécialiste pour l’affirmer mais ce livre, loin d’être le plus connu de Kessel, mérite le détour pour ce qu’il peut représenter aujourd’hui.
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