"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La narratrice, Ursulla Fanon, est une Haïtienne de 45 ans.
Elle raconte sa vie dans le village de La Baie-de-Henne. Le récit commence par l'accouchement difficile de sa mère, entourée de pauvres hères plus ou moins alcooliques qui constituent sa famille. Ursulla grandit dans la pauvreté et la saleté dont elle portera à jamais l'odeur. Elle rencontre un jour Simon Madère, comme elle issu d'un milieu fruste et violent. Il deviendra photographe, et elle le retrouvera plus tard à Port-au-Prince, alors qu'elle est devenue mère d'une jeune fille destinée à devenir prostituée.
Dans la capitale, elle aura du moins une amie : Roseline, femme généreuse et volcanique. Roseline et la fille d'Ursulla mourront dans un tremblement de terre. L'univers de Marvin Victor baigne dans une sensualité violente qui ne peut pas laisser indifférent. La première scène du roman, qui décrit un accouchement, est extraordinaire. De nombreux passages sont d'une force étonnante, entièrement due à l'efficacité d'un style ample et lyrique, parfois grinçant, déroulant le récit en longues phrases chargées d'images et de formules inattendues, excellant à restituer les odeurs, les saveurs, les sensations troubles des corps livrés à eux-mêmes.
Jour de séisme en Haïti : Corps mêlés est une fresque superbe de cette île abonnée aux malheurs et catastrophes.
Marvin Victor s’intéresse au destin d’Ursula, une femme de 45 ans, doublement imprégnée de l’odeur de mort et de subtils parfums îliens. Ce mélange permanent des sens est à l’image du titre, les corps mêlés étant aussi bien ceux des cadavres acheminés vers les fosses communes que ceux pendant l’amour.
Malgré l’horreur récurrente que fut sa vie, Ursula n’est pas qu’une victime, une rescapée de la mort ; elle est une battante fidèle à ses convictions ; jamais lâche, elle peut être fière de vivre une vie hors du commun.
Avec un style soigné mais sans prétention, cru mais jamais impudique, Marvin Victor nous offre une oeuvre emblématique de la richesse morale et de la diversité du peuple haïtien.
Pour notre plus grand bonheur, la chrysalide est devenue papillon à qui l’on souhaite un long chemin littéraire.
Corps mêlés de Marvin Victor
(Gallimard)
«Par une nuit de décembre, un vendredi, comme d’autres entrent au Séjour des morts, me raconta un jour ma marraine, ma tante, elle, la sage-femme par excellence, je sortis des entrailles peureuses et gluantes de ma mère que les gens du pays de Baie-de-Henne donnaient pour une mule — cette bête hybride, issue de l’accouplement d’une jument et d’un âne et qui, selon eux, met bas soit des mouches, soit des abeilles — considérant qu’au bout des nombreuses liaisons qu’ils lui prêtaient, elle ne parvenait pas à tomber enceinte.»
Waouh ! Livre fermé, fini, en sueur, en sang, en chaleur, vomissant le tabac, chancelant de trop de rhum «Trois-étoiles», le nez plein, ahuri d’odeurs. Voilà, courageux lecteur, ce qui vous attend !
Haïti, Marvin Victor et ses longues phrases qui montent au ciel ou qui remuent la terre comme des transes, là où «les voix, à la fois belles, rieuses et vulgaires, toutes réunies à mes oreilles, faisaient le paysage.»
Sa fille morte pendant le séisme, Ursula Fanon erre, en délire, dans les rues dévastées de Port-au-Prince. Elle y croise Simon Madère, disparu depuis 25 ans, l’un de ses anciens amants, peut-être le père de sa fille défunte. Elle va lui «hurler» son histoire (comme Billie Holiday savait hurler son blues)...celle de Haïti.
Un livre chaotique, de psaumes «baudelairiens», de décombres baroques. Un livre sismique !
Une Haïtienne se souvient. Ursula Fanon se souvient de son enfance sauvageonne au pied "[des] mornes sèches du pays de Baie-de-Henne", entre terre et mer. Elle se souvient de sa mère qui s’est réfugiée une dernière fois dans la savane, l’abandonnant à sa marraine qui parlait aux "dieux, aux saints et aux anges", à la grand-mère dépassée et au grand-père aux yeux cerclés de rouge par l’alcool du "blanc agricole". Elle se souvient de Simon, son amour de jeunesse enfui comme elle vers le chaos de la grande ville. Plus de trente ans sans le voir, à le pister en vain... Jusqu'à ce jour de janvier où elle le retrouve pour partager la nuit des morts qui accable Port-au-Prince dévasté. Sa fille est morte sous le béton, son unique amie ne répond pas à ses appels, Simon est muré dans le silence, la fumée de ses cigarettes et l'alcool de sa bouteille (de rhum) Trois-étoiles. Elle raconte, elle rêve qu'elle raconte... Corps – ce mot singulier qui s'écrit au pluriel pour dire le triomphe de la vie et la débâcle de la mort, Corps mêlés - mêlés dans la mort mêlés dans l'amour, est moins un roman qu'un long poème lyrique oscillant entre ode joyeuse (à la vie) et chant funèbre. Il flamboie d’une luxuriance tropicale où les phrases mêmes s'égarent sous la violence des mots, des mots d'ici et des mots de là-bas, ultra-marins, appartenant "à la terre, aux bêtes et aux plantes", d'où naissent de fulgurantes images et d'inouïes métaphores. De l'admirable peuple haïtien s'élève une nouvelle étoile ; notre enthousiasme l’accompagne !
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