"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L’écriture du journaliste écrivain voyageur Alain Dugrand (parmi les fondateurs de Libé et de l’évènement littéraire ‘Étonnants voyageurs’) se joint aux illustrations aquarelles et crayon de Jacques Ferrandez sachant avec un talent remarquable rapporter les anecdotes, les paysages, l’actualité et la grande histoire de leur voyage en Irak en partant de Jordanie, ce, en l’an 2000 après 10 ans d’embargo.
Ils font partie d’un convoi de trois véhicules GMC et sont surpris de rouler à travers le désert sur une autoroute moderne à 3 voies flambant neuve et à l’asphalte plus doux que l’A6 français. A la frontière, leur chauffeur jordanien planque son portable, alors interdit en Irak.
On est en décembre et c’est le début du Ramadan que le Cousin, surnom donné par les habitants à Saddam Hussein pour ne pas prononcer son nom, a rendu obligatoire.
A l’heure de rupture du jeûne, les restaurants sont bondés malgré le manque d’argent.
Un instituteur gagne 2$ par mois, un professeur d’université 5 à 8 $. Les intellectuels sont abattus et ruinés. Ils vendent leurs peu de biens dans la rue quand une classe aisée émerge en s’enrichissant du commerce de pénurie avec l’arrogance des parvenus au volant de grosses cylindrées allemandes dernier cri se mêlant aux embouteillages constants des villes avec les vieilles voitures, les bus et les innombrables taxis.
Les gens ont plusieurs boulots et chauffeur de taxi en est un pour arrondir les fins de mois plus que difficiles. Les maisons de la classe moyenne sont vidées de leurs meubles, bibliothèques, tourne-disques, tapis, etc. On redécouvre les recettes à base de dattes qui remplacent aussi le sucre manquant… On oublie le mouton beaucoup trop cher.
Pourtant Bagdad regorge de marchandises mais inaccessibles à la grande majorité de la population. Les enfants travaillent à la livraison des fruits, légumes, bassines d’olives et de citrons noirs pour aromatiser l’eau fraiche dans les cruches d’eau, safran, dates, piments, pistaches, raisins et épices odorantes, rouleaux de tissu, poisson frais, chargés sur des chariots à bras ou tirés par des ânes.
L’essence transportée par des files de camions citernes roulant à vive allure sur une autoroute bleue et glissante de pétrole, ou sur des routes leur étant spécialement réservées, ne vaut rien quand le litre d’eau en bouteille coûte dix fois plus cher.
A Mossoul, dans un décor de raffineries, casernements et lignes à haute tension, le Tigre est pollué par la destruction des infrastructures et l’assainissement des eaux gérées sans maintenance ni compétence, demande malgré tout 2$ par mois c’est-à-dire plus qu’un salaire mensuel, ceci générant de nombreuses maladies mortelles dont la tuberculose et la rougeole au sein de la population ainsi que des leucémies et des malformations congénitales. Les ONG dénoncent une mortalité s’accroissant chez les bébés due au maintien de l’embargo par les US, en vain. Les enfants victimes de malnutrition meurent comme des mouches.
Le patrimoine irakien archéologique a subi le désastre des bombardements suivi de pillages intensifs.
On suit les deux artistes voyageurs dans les rues de Bagdad, le long des berges du Tigre, sirotant du thé ou du café à la cardamone préparé sur des braseros, écoutant le Maqam, musique traditionnelle du pays, dévoilant les étals des souks, les dinandiers martelant le cuivre d’énormes récipients et bassines, les frappeurs occupés à dépoussiérer et laver les tapis à grande eau, les palais des califes, les mosquées, les minarets et les universités, chinant au quartier des libraires où pléthore de livres d’occasion sont étalés en piles à même le sol de la rue Moutanab où le vendredi, on flâne, palabre et échange.
Les papeteries de la place Tahrir ne vendent pas de crayon à papier : « Avec les mines de graphites, les ingénieurs irakiens pourraient fabriquer des constituants de l’arme nucléaire. »
Entre la rue Rachid et le Tigre, de très belles maisons aux patios accueillants qui donnent la mesure de ce que put être la douceur de vivre à Bagdad.
Invités, les deux artistes voyageurs vont rejoindre le premier salon du livre franco-irakien au Palais Abbasside et rencontreront l’enthousiasme des Irakiens pour la littérature française, principalement Rousseau, Jean Genet, André Breton, Rimbaud et Proust. Une jeune étudiante leur confie « Proust et Rimbaud nous aident à vivre. » quand une autre leur demande « Pouvez-vous m’aider à comprendre l’équilibre entre temps phénoménologique et temps chronologique dans la Recherche ? »
Sans argent, on échange de vieux magazines et on capte les radios étrangères bien que la détention d’une parabole est punie de prison.
La collaboration de ces deux artistes signe un témoignage de l’histoire dans le temps, où Bagdad, malgré les affres de la guerre Irak-Iran et les bombardements américains intensifs, tenait debout et regorgeait de marchandises quand Mossoul triste hère offrait déjà un champ de ruines.
Après quelques pages, j’ai mis la musique de Mohamed Zakki accompagné de l’oud et des tablas trouvée sur U-Tube, me suis fait un café à la cardamone et servi une coupelle de dattes confites, créant ainsi une aura ambiancée au texte et aux images croquées sur le chemin d’Amman à Mossoul en passant par Ar Ramâdi, Bagdad, ses quartiers et sa banlieue, Babylone, Ctésiphon (d’où ils aperçoivent les décombres du centre nucléaire de Tammouz rasé par l’aviation israélienne le 7 juin 1981), Aqarqouf (jardins maraîchers et palmeraies où 500 variétés de dattes sont cultivées) , Samarra (capitale du calife Al Mou’tassim), Ninive-Nemrod et Hatra.
Les deux auteurs, de retour à leurs tables de travail, s’appliquèrent à des recherches historiques et littéraires pour enrichir l’album.
Ce livre riche culturellement et superbement illustré, est une invitation au voyage, à la découverte de notre monde au-delà des frontières.
Magique.
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