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Il s'appelait Abd el-Kader, né en 1917 dans un douar algérien. Sans enjoliver ni noircir, Ahmed Kalouaz a voulu reconstruire le parcours de ce père aujourd'hui disparu. Le destin de cet homme est à la fois singulier et commun à des centaines de milliers d'immigrés maghrébins, déchirés entre la France et leur pays d'origine. Et c'est une certaine Histoire de France qu'il nous raconte : la Seconde Guerre mondiale et ses bataillons de tirailleurs, l'immigration dans les années 1950, la guerre d'Indépendance, les mille métiers, les mille misères de ces manoeuvres employés aux tâches les plus difficiles, les dérives et les réussites de la deuxième génération, les crises des cités et le retour à la religion.
Avec tes mains est un très beau chant adressé au père, le portrait tout en émotions d'un homme dur à la tâche comme en affection. En poète, Ahmed Kalouaz dit l'absence de mots communs entre les générations, les regrets et les rendez-vous manqués. Ces lambeaux de vie sauvés du silence tissent un destin bouleversant, celui d'un homme "absent" et taciturne, dont la dernière volonté fut d'être enterré au pays, loin des siens.
Ahmed Kalouaz retrace la vie de son père Abd el-Kader, né en Algérie aux alentours de 1917, combattant de la seconde guerre mondiale en France et de retour dans ce pays, en 1952 pour y travailler. Il y restera jusqu'à sa mort. Il lui rend hommage à travers ce petit livre. Une belle écriture que l'on sent parfois pleine de ressentiments envers l'accueil que la France a fait à ces étrangers, et qu'elle continue de faire de nos jours.
Ce récit explore les relations père-fils de la même manière que n'importe quel exercice de ce style, si courant chez les écrivains : l'absence de tendresse physique courante pour les gens de cette génération, beaucoup de non-dits, de moments passés et vécus intensément bien qu'il ne s'y soit rien déroulé d'exceptionnel, regrets de fils de n'avoir pas parlé plus avec son père -et regrets éventuels du papa. Mais dans ce livre, en plus de tout cela, on y trouve toute la difficulté pour un Algérien de s'installer en France, d'y faire venir sa famille dans les années 50 -rare à cette époqueoù l'on ne parlait pas encore de rapprochement familial-, de traverser la guerre d'Algérie, les années 80 et la montée du racisme et de la xénophobie -cf.la montée en puissance du Front National-, l'inévitable installation dans une cité et l'arrivée des prêcheurs islamistes dans celle-ci.
Ahmed Kalouaz écrit et dénonce tout cela avec force, rage et pudeur. Il évoque tout cela, n'occulte rien ni les bons moments passés avec son père, ni les mauvais côtés de celui-ci, ce qui les rend tous les deux profondément humains et proches de nous.
J'ai aimé ce livre qui évoque avec sincérité, sobriété et dignité à la fois la douloureuse histoire personnelle de l'auteur et l'histoire de toute une génération sacrifiée, oubliée.
A travers le portrait d'Abd el-Kader,le livre d'Ahmed Kalouaz a en effet le mérite de redonner un visage, une identité, à toute cette génération anonyme d'«indigènes» miséreux, de soldats sacrifiés et de travailleurs de force exploités .
C'est aussi la triste histoire d'un père dont les seuls mots furent «le langage des mains» qu'il «pratiqua jusqu'à l'épuisement», un père dont les doigts ne tinrent jamais un seul livre, étranger à ses propres enfants qui ne «devisent» pas dans «la même langue». Un père qui, avec ses mains, leur permit néanmoins de vivre et de devenir libres.
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