"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Les femmes, elles oublient tout ce dont elles ne veulent pas se souvenir et se souvienne de tout ce qu’elles ne veulent pas oublier. Le rêve est leur vérité. En conséquence de quoi elles agissent, font ce qu’elles ont à faire ».
Janie est de retour après trois années passées avec Tea Cake, peut-être le seul homme qu’elle a aimé.
Les rumeurs vont bon train d’autant qu’elle est vêtue d’une salopette ce qui n’est évidemment pas une toilette pour une dame de son rang. Bien entendu, elle revient parce que Tea Cake, plus jeune qu’elle, lui a bouffé toutes ses économies... « Fait quoi encore à s’enrevenir ici dans sa spèce de salopette ? Peut pas trouver une robe à se mettre ? -L’est o* la robe en satin bleu qu’elle avait au dos en partant ? Et les sous de son mari qu’il a massés et cassé sa pipe et tout laisse pour elle ? – C’est quoi cette vieille qu’a passé quarante ans avec ses cheveux qui swinguent dans son dos comme une jeunette ? – L’a laissé où son tout jeunot de bougue qu’elle est partie d’ici avec ?– Devait pas le marier qu’on disait ? – Te parie ça qu’y a filé avec une de ces gal si tant jeunette qu’elle a même pas aucun poil – Peut donc pas se tenir à sa place ? »
Ce sont toutes ces gentillesses qu’elle entend en passant devant les commères assises sous la véranda à la regarder. C’est qu’il y en a de la jalousie accumulée !! Janie si belle avec ses cheveux qui faisait tourner les têtes des hommes et fâcher leurs femmes ! Et puis son mari, puissant beau… Même maintenant « les hommes remarquèrent son postérieur ferme comme une paire de pamplemousses bien calés dans les poches arrière ; la longue corde de cheveux noirs qui se balançait jusqu’à la taille… et puis, les seins pugnaces s’échinant à percer sa chemise ».
Oui, Janie est belle mais, surtout indépendante et ne pleure pas sur son sort. C’est le plus gros reproche que chacun peut lui faire.
Alors, pour arrêter toutes ces langues de vipère, elle raconte toute sa vie à son amie Pheoby, à elle de transmettre si elle le désire… Une vie à écrire un livre
Elle est élevée par sa grand-mère, ancienne esclave, qui a eu une fille de son « maître » qui violée lui laisse Janie. Elle l’a élevée comme elle a pu avec tout son amour et ses craintes, la marie au vieux Killicks, frustre et pas trop intelligent alors que Janie a été à l’école. Première grosse déception, l’amour n’a pas fleuri une fois mariée comme elle le pensait. Janie se sauve en Floride avec le bel ambitieux de Joe Starks. Un visionnaire qui a pris ses leçons chez les blancs et rejoint Eatonville construit par et pour des noirs, en prend la tête. Il construit la première épicerie. Janie est à la caisse. Joe est très ambitieux, jaloux au point que Janie doit mettre un foulard lorsqu’elle est au magasin, Joe ne supporte pas les yeux des mâles sur sa chevelure, il veut modeler son épouse qu’elle soit toujours bien habillée, qu’elle ne se mêle pas aux conversations des hommes sur la véranda… Bref comme une joli poupée blanche ! L’amour ne résiste pas à l’appropriation et à la soumission. Joe décède dans son lit et le premier acte de Janie est d’enlever le foulard, laissant enfin libre sa chevelure.
Arrive Tea Cake, fini les apparences, ils partagent tout et Tea Cake que l’argent ne fait pas rêver, laisse dormir l’héritage à la banque. Je crois que ce furent les plus belles années de Janie. Bien sûr, avec Tea Cake, elle ne tient plus le haut du pavé, mais elle s’en moque comme de sa première chemise, ils s’aiment, ils sont heureux… Jusque ce que la morsure d’un chien enrage décide de la suite.
Zora Neale Hurston ne fait pas que raconter la vie de Janie, elle la fait vivre avec son entourage humain et paysager., les Everglades, la Floride, l’ouragan dévastateur avec une très grande maîtrise Elle ose écrire comme eux parlent en cette Amérique ségrégationniste des années trente. Cette langue Sika Fakambi l’a particulièrement bien traduite et lui restitue toute sa couleur, sa puissance. Bien sûr, il ne faut pas se mentir, il me fut un peu difficile d’entrer dans le texte, mais une fois habituée, la palette s’est enrichie et que cette lecture fut belle et agréable.
J’écoute l’esclavagisme qui n’est pas si loin, l’ostracisme envers les noirs, la misère, je vois la joie, le bonheur… le désir de Janie de vivre comme elle veut "Moi j'ai eu fini de vivre dans la manière de Grandma, et maintenant j'ai idée de vivre dans ma manière à moi."
Merci aux éditions Zulma d’avoir traduit et édité ce grand monument de la littérature américaine,
Une pépite qui dormait depuis sa sortie en 2020 dans ma « bibliothèque à lire »
Vous l’avez compris un gros coup de coeur.
Le parler cajun si proche du parler québécois pour la lectrice de l’autre côté de l’océan que je suis me transcende. La langue est sublime parce qu’elle cogne en bouche elle s’agrippe pour forcer les défenses. Janie est un grand personnage qui réussit à vivre fort sans se préoccuper des regards et des langues qui piquent. Elle s'octroie le droit, elle combat les vexations et puissante elle vit !
« Janie avait seize ans. Un feuillage vernissé et des bourgeons tout près d’éclore et le désir de prendre à bras-le-corps la vie, mais la vie semblait se dérober. Où donc étaient-elles, ses abeilles chanteuses à elle ?… Du haut des marches elle scruta le monde aussi loin qu’elle put, et puis elle descendit jusqu’à la barrière et s’y pencha pour contempler la route de droite et de gauche. Guettant, attendant, le souffle écourté par l’impatience. Attendant que le monde vienne à se faire. » Il ne faudra pas moins de trois mariages et trois vies – le vieux Logan Killicks et ses sentiments trop frustes, le fringant Joe Starks et ses ambitions politiques dévorantes, puis la promesse d’égalité, l’étreinte d’amour et le frisson extatique qu’incarne Tea Cake – pour permettre à Janie d’atteindre toute la mesure de son rêve d’émancipation et de liberté.
Portrait d’une femme entière, animée par la force de son innocence, qui brave la rumeur du monde et se révèle à l’existence, Mais leurs yeux dardaient sur Dieu est un chef-d’œuvre – et l’un des tout premiers romans écrits par une Afro-Américaine. Un monument de la littérature, aussi percutant aujourd’hui que lors de sa parution aux États-Unis en 1937.
Their Eyes Watching God, fut écrit par une écrivaine afro-américaine, en 1937. Et le récit se situe dans la Floride du début du XXe siècle, région où sévit toujours le racisme.
Janie Crawford, raconte à sa meilleure amie, Pheoby Watson, les principales étapes de sa vie de femme noire. Et surtout, une fois découvert sa couleur de peau, une recherche permanente sur différents points, notamment : de sa liberté de vivre comme elle le souhaite, d’être en communion avec sa communauté, de découvrir le monde, de parfaire sa soif d’apprendre, bref, d’être tout simplement heureuse !
Elle va pour ce faire, se marier plusieurs fois, et passé les premiers instants, elle s’aperçoit que son existence consiste surtout à rester passive dans les relations de couple. Etre en permanence corvéable à merci ! Alors dans ces dispositions comment connaître le véritable amour ; la transcendante du couple dans ces conditions ?
Seul son troisième mariage avec Virgible Woods - Tea Cake – lui apportera, enfin, une lumière dans sa vie. Une vie sortie qui la sortira de l’immobilisme, de l’inénarrable solitude qu’elle a déjà connue et redoute toujours. Enfin l’ivresse pour elle de la découverte d’un amour partagé, de faire fi des convenances. Mais les moments joyeux ont aussi leurs périodes de malheur ! Mais chut, laissons le lecteur découvrir les vicissitudes de l’existence…
Un voyage dans l’univers d’une littérature noire – Tous enlaidis par l’ignorance, brisés par la pauvreté -, avec peu d’interventions de la population blanche, let une sempiternelle apparition du racisme sous-jacent entre les membres de cette communauté.
Un récit poignant, certes, mais difficile d’approche, par l’utilisation d’une retranscription phonétique du dialecte des noirs d’origine africaine. Il faut « s’accrocher » pour en pénétrer l’âme de Janie et ressentir ainsi tous ses émois. Un rare moment de tristesse mais aussi d’espoir pour savourer – la floraison d’un poirier au printemps -.
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