Le Docteur Kaya ouvre l’unique cabinet freudien de Brazzaville et y accueille l’élite, jusqu'au jour où l’un de ses patients est assassiné..
Le Docteur Kaya ouvre l’unique cabinet freudien de Brazzaville et y accueille l’élite, jusqu'au jour où l’un de ses patients est assassiné..
L’auteur congolais remporte la 6e édition du Prix avec "Le Psychanalyste de Brazzaville", publié aux éditions Les Lettres Mouchetées
Prix Orange 2024 du Livre en Afrique.
Le Psychanalyste de Brazzaville est un roman signé Dibakana Mankessi. Il foisonne de faits réels et m’a plongé dans la vie quotidienne de la capitale du Congo pendant les années 1960.
Ce fameux psychanalyste est le docteur Kaya et les pages de son journal jalonnent le parcours tumultueux d’une jeune femme prénommée Massolo. Alors qu’elle est titulaire d’une licence en droit, elle subit les aléas d’un pays en pleine révolution et ne peut que trouver un emploi de femme de ménage chez le docteur Kaya alors qu’elle voudrait et devrait être Chargée d’affaires.
Petit à petit, je fais connaissance avec les patients de ce psychanalyste, le seul de la ville. S’ils sont nombreux, ils se révèlent être des personnages importants du pays. De 1961 à 1969, je trouve complètement ahurissant ce qui se passe dans ce pays qui peine à installer son indépendance, à se libérer de l’influence du colonisateur : la France. Le général de Gaulle n’avait-il pas fait de Brazzaville la capitale de la France Libre durant la Seconde guerre mondiale ?
Massolo est d’abord étudiante en droit, liée à son petit ami, Ibogo, mais se laisse séduire par Koussou, un jeune professeur qui ressemble à Sidney Poitier… Les parents de Massolo sont des bourgeois aisés et sont amis du président Fulbert Youlou, le fameux abbé, et son petit frère, Yazolé, brille par ses interventions pertinentes et amusantes.
Massolo est une belle fille et elle attire la convoitise des hommes. Elle doit se faire respecter mais la situation politique du Congo devenant de plus en plus instable, elle est obligée de céder à certains « protecteurs ». Tout cela, Dibakana Mankessi le raconte très bien. C’est vivant et documenté.
Ainsi, le récit plonge de plus en plus dans la vie quotidienne des Congolais et surtout dans la vie politique du pays tout en mettant en exergue ses liens avec la France. De plus, Dibakana Mankessi manie habilement l’humour et parsème son troisième roman d’anecdotes cocasses sans négliger superstitions et croyances qui ont tant d’importance pour certains.
Le Psychanalyste de Brazzaville est aussi un témoignage fort à propos du sort des femmes dans ce grand pays d’Afrique équatoriale. Les problèmes sexuels sont nombreux et deviennent encore plus graves lorsqu’une Congolaise tombe amoureuse d’un Blanc. Lorsque l’heure du retour en Europe arrive, ces femmes abusées se retrouvent seules avec un ou plusieurs enfants à élever.
Avec tous les événements liés à la vie politique du pays qui se tourne vers le marxisme-léninisme, ce sont les interventions du docteur Kaya, ses discussions avec ses patients qui apportent un intérêt croissant au roman. Je note le débat soutenu entre le psychanalyste et l’archevêque de Brazzaville, Monseigneur Théophile Mbemba, qui est aussi un de ses patients : la psychanalyse est-elle une confession ? Le docteur Kaya argumente fort bien et ne se laisse pas imposer l’opinion de l’homme d’Église.
Il en est de même lorsqu’il doit tenir tête à un homme politique ou, mieux encore, lorsqu’il est convoqué par la police politique. Devant un flic borné, il ne se démonte pas ; il explique en quoi consiste son travail et cela donne une discussion éloquente, savoureuse même. C’est d’ailleurs dans son cabinet que le docteur apprend tout de l’évolution politique du pays, découvrant les liens, les amitiés les compromissions, les coups bas et, par là-même, se mettant en danger.
Par bonheur, Le Psychanalyste de Brazzaville de Dibakana Mankessi a été récompensé par le Prix Orange 2024 du Livre en Afrique et cela a permis de sortir cet excellent roman de l’anonymat.
Après les lauréats précédents : Bel abîme, de Yamen Manai, en 2022 puis Ambatomanga, le silence et la douleur, de Michèle Rakotoson, en 2023 et Les Impatientes (Munyal, les larmes de la patience) de Djaïli Amadou Amal en 2019, je me suis encore régalé !
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/08/dibakana-mankessi-le-psychanalyste-de-brazzaville.html
Le psychanalyste de Brazzaville, troisième roman de l’écrivain et sociologue congolais Dibakana Mankessi peut s’apparenter à une revisite de l’Histoire du Congo-Brazzaville des années 60, juste après son indépendance.
Plusieurs personnages vont permettre cette relecture historique, et ce, de manière très attractive.
La figure centrale est le Docteur Kaya. Après s’être formé à la psychanalyse il a ouvert l’unique cabinet freudien de Brazzaville où il accueille sur son divan la quasi totalité de l’élite, des hommes, des femmes, des Européens et des intellectuels congolais.
Son activité attire déjà bien des regards mais elle sera encore davantage scrutée après l’assassinat d’un de ses patients, le procureur Lazare Matsocota…
Il consigne dans son journal les comptes rendus de ses consultations. Ses notes sont de véritables outils d’analyse permettant de mieux comprendre ces personnalités qui ont marqué le pays.
En parallèle, une autre figure clé, au cœur du roman est la jeune Loba Massolo. La destinée de cette étudiante en droit va être bouleversée par le tumulte de l’actualité du pays. Elle se voit contrainte de s’engager comme femme de ménage auprès du Docteur Kaya, sans révéler son origine.
Devenue vulnérable, sa famille ayant été proche du régime déchu, elle subit un véritable déclassement social. Elle a une vie absolument digne d’un roman et l’auteur ne s’y est pas trompé puisqu’elle va lui servir à raconter l’histoire. En effet, que ce soit son frère Yazolé, ou son premier amour Ibogo, ou encore koussou ou le commandant Oba, tous ces êtres proches de Massolo prendront non seulement, à un moment ou à un autre, une part importante dans sa vie familiale et personnelle mais aussi une part active dans la vie de la ville et du pays. Je me suis vite attachée à chacun, déçue parfois par leur choix mais à chaque fois émue et bouleversée par leur sort.
Avec Masolo, c’est la condition féminine, les rapports de pouvoir, de soumission qui sont mis en évidence, avec le règne du patriarcat. Quant à son amie Kama, son histoire ne peut que nous révulser, nous faire horreur.
Intercalant le journal du psychanalyste avec l’intrigue, Dibakana Mankessi aborde d’abord la fin du régime de l’abbé Fulbert Youlou, premier président de la République congolaise. Les descriptions qu’il fait des Trois Glorieuses, ces trois journées de manifestations populaires qui ont précédé son renversement le 15 août 1963 sont absolument saisissantes de vie et de réalité. On a vraiment l’impression d’y assister.
C’est ensuite, surtout le règne de son successeur Massamba Débat, que l’écrivain s’attache à nous conter en brossant les portraits des patients du Docteur Koya, un mélange de personnalités réelles et de personnalités fictives.
Parmi les réelles, Christian Jayle, l’un des premiers patients européens du psychanalyste. Accusé d’avoir collaboré avec les nazis, il avait quitté l’hexagone pour se réfugier au Congo où il s’est bien vite relancé en politique…
Figure aussi Lazare Matsocota, nommé Procureur de la république au début des années 60 qui sera enlevé et assassiné. Autre personnalité à venir en consultation, l’archevêque de Brazzaville Théophile Mbemba ! Une séance spéciale tout de même puisque le prélat n’hésite pas à comparer confession et cure analytique, confessionnal et divan, s’empressant de faire remarquer au thérapeute qu’avec la confession, il apportait, lui, une autre dimension !
D’autres patients défilent dans le cabinet et parlent : Gérard Soete, impliqué indirectement dans l’assassinat de Lumumba, que le Docteur trouve trop arrogant, trop frimeur, trop raciste et Roger Lelièvre, architecte, Résistant de la France libre, envoyé par le général de Gaulle au service des travaux publics de Brazzaville, la « case de Gaulle » actuelle résidence de l'ambassadeur de France après l'indépendance du Congo, sera la première réalisation d'une longue liste qui fera de Brazzaville une ville moderne.
J’ai beaucoup apprécié la subtilité, la patience, l’art déployé par le Docteur Kaya pour amener ses patients à parler. Le cadre dans lequel ont lieu les consultations est quant à lui savamment étudié.
L’humour est là également pour montrer à la fois la nouveauté et l’incompréhension de la société devant cette nouvelle spécialité qu’est la psychanalyse. La scène dans laquelle le Docteur Kaya, suite à la convocation de la police politique, est reçu par un capitaine pour en savoir plus sur son activité est hilarante : « vous êtes pis’ka… p’sca… pichiko, … »
Dibakana Mankessi explore avec un immense talent la construction des consciences individuelles et collectives entremêlant savamment fiction et réel.
Le psychanalyste de Brazzaville est un roman historique fabuleux, richement documenté, et en même temps un vrai polar aux rebondissements innombrables. Un roman tout à fait original !...
Lire la suite ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/04/dibakana-mankessi-le-psychanalyste-de-brazzaville.html
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