"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Cet hiver-là, le temps est vraiment bizarre, pas de neige, trop de pluie, il n’y a plus de saison. Tour à tour les villageois entrent à L’Helvezia trempés et bien décidés à se réchauffer. Ça tombe bien, elle n’attend que ça la Tante, avec ses Mary Long qu’elle allume l’une après l’autre. Et ce soir, personne ne boira d’eau, c’est dit.
Alors ça parle, ça raconte, ça fume, beaucoup, et ça boit plus encore pendant toute la soirée ; les gens rentrent et ressortent, s’invectivent, se remémorent les souvenirs anciens, les anecdotes de leur jeunesse commune, mais aussi les disparus, les mariages. Chaque foyer a une histoire et tous semblent la connaitre, comme on connait bien les voisins avec qui on a passé tant d’années dans ce petit village perdu dans ce creux de montagne.
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Arno Camenisch nous transporte des dizaines d’années en arrière dans le canton des grisons en Suisse. Ne cherchez pas, vous êtes immédiatement, tout comme je l’ai été, projeté dans un univers parallèle, plongé dans un de ces grands films classiques en noir et blanc où les jeunes héros découvrent la vie autour d’eux et la racontent avec autant de sincérité que de malice.
Le langage est celui d’un jeune garçon d’une dizaine d’années qui observe et raconte son village. Il mêle dans son récit le patois des langues romanches parlées dans le canton. Les maisons à la suite l’une de l’autre, dont on connait le moindre habitant, les habitues, les famille, le café L’Helvezia où tous se retrouvent pour un schnaps, les lappis qui font des petits et que l’on prend dans ses mains car ils sont si doux, mais qui en meurent, les saisons difficiles, surtout quand le soleil disparait pour plusieurs mois, la vie et la mort, l’enterrement ou la naissance, il n’y a rien d’étonnant à participer à tout cela puisque c’est la vie. Une succession de scènes aussi drôles qu’émouvantes. Un éveil au monde empli de débrouillardise, de naïveté et de sentiments.
L’écriture est vraiment étonnante. Si la lecture est un peu ardue au départ, j’ai été rapidement séduite.
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Réjouissant, habile, « Derrière la gare » est un récit bienfaisant, lumineux. D’emblée, on est bien dans cette contrée bordée d’air frais de l’Helvétie. A hauteur d’enfant, l’histoire est un baume au cœur. Une couverture que l’on remonte d’aise jusqu’au cou. Ne pas perdre des yeux, un seul espace, une virgule ou un point. Chaque phrase est un sourire, une attention, un détail ou une coutume écartelée par un enfant (qu’on adore) écouter. « Derrière la gare » est le papier calque d’un village où chacun des protagonistes connaît l’autre à merveille. L’idiosyncrasie dévoilée par l’auteur Arno Camenisch digne d’un génie évident est époustouflante de réalisme. L’Helvétie est apprivoisée. Le lecteur reste dans cet antre et se prend à aimer les mouvements de ce village où le traditionnel à valeur d’or. On aime les passages glorieux, amusants. Les rituels qui résistent aux rides et aux sourires d’une enfance qui connaît le respir de la nature et qui ignore ce qu’un XXIème siècle reprendra sans compromission. C’est ici qu’il fait bon vivre. Dans ce quotidien où « Dans le village personne n’a fermé sa porte à clé…… Dans le village il y a 16 frigos. » La nostalgie saisit le lecteur. Il voudrait ce village intemporel. Carte postale ne jaunissant pas sur les murailles des siècles à venir. L’écriture est un tapis rouge. « Attenzium, dit l’Otto, le devoir que demain à midi ici même, vous me dîtes le nom de chacune de nos muntagnas. » On reste dans cette farandole de paroles, bien au chaud, dans cette épiphanie grammaticale. Les mots écorchés, détournés, savoureux encensent un régionalisme d’ébène. On éclate de rire, on apprend à vivre. A changer notre regard sur le monde et sur nous-même. Ce petit galopin qui rayonne dans « Derrière la gare » ressemble à Toto dans « Cinéma Paradiso ». C’est dire la portée nourricière de ce récit vivifiant. « Dans l’Helvezia non plus la lumière éternelle doit jamais s’éteindre. En hiver, il y a encore plus de lumières éternelles qui sont allumées que d’habitude, et presque tous les gens du village participent, allument des cigarettas et les fument jusqu’au bout. Ils allument des petites lumières pour les âmes en peine, pour qu’on aille bien et que le soleil revienne et que personne ne finisse plemplem. » « Derrière la gare » est une ode à la vie, à l’authenticité, à la simplicité. Dans une Helvétie dont on ressent jusqu’à l’extrême la sincérité et cette joie de vivre. Un roman à lire en noir et blanc mais dont l’image ne se fige pas. La clarté est dans chaque heure et que ça fait du bien de lire ce roman qui est tendre comme du bon pain. C’est un récit porte-voix , un film à ciel ouvert, des brassées d’images salvatrices qui illuminent l’Helvétie pour toujours. Publié par Quidam éditeur qui prouve une nouvelle fois une haute qualité éditoriale.
Puissant, émouvant, « Ustrinkata » de Arno Camenisch est un grand livre. Les dés sont lancés. Annonciateurs d’une finitude. Grave, intense, le temps passé dans l’Helvezia est un feu de cheminée. Néanmoins, les cendres encore chaudes résistent à ce qui fût. Il faut lire cette sombre et sublime histoire doucement en invité des grandes heures dans ce café mythique « l’Elvezia ». Ecouter, puis s’imprégner des paroles de chacun. Garder pour soi ces leçons de vie et de courage, de loyauté pour en faire son propre levier. Ce récit est donc une double chance. « Ustrinka » se déguste doucement avec respect. La nuit est tombée en Helvezie. C’est la dernière heure du jour. Dans cet entre monde où les habitants sont des résistants qui veulent défier les aléas de cette contemporanéité qui joue des coudes et qui se fraie un passage dans leur vie et bouscule tout frénétiquement. L’incipit ouvre ses bras en grandeur. « Comment ça de l’eau, dit la tante à la grande table des habitués dans l’Helvezia, elle fixe l’Alexi, mais t’es marteau. » Le ton est donné. Il ne faut pas que le geste s’apaise. Les lèvres doivent rester messagères d’une parole régénérante. Chacun des verres proposés est la somme de guerre. Dans cet espace où les habitués de ce lieu apportent la pierre du dire en oraison. L’écriture est si noble qu’on a la gorge nouée. Chacun conte. Les anecdotes, les coups bas, les souvenirs, les habitants qui ont marqué de leur sceau la citadelle de l’Helvezia. Les portraits des uns et des autres encensent le filigrane. On pressent l’urgence du dire. Les confidences sont des échappées, saveurs salvatrices et consolantes. La gravité est une fleur qui perce sur le goudron de l’inaltérable. Il pleut, il fait sombre. La lumière dans l’Helvezia est un antidote. Une bataille entre l’adversité et la fraternité dans cet antre emblématique. Avant que les volets ne se referment à jamais. Boire à n’en plus finir. Affronter les démons d’un climat qui signe son heure de fin. Parler, graver les sons et les alphabets d’honneur dans chaque verre. La tendresse est un garde à vous. L’exutoire d’un langage qui résiste aux tempêtes intérieures. Tout est beau ici, intègre et authentique. La sincérité est un breuvage et bien plus qu’un récit « Ustrinkata » est un cri d’alarme. Que va-t-il se passer ? Ne rien dire de ce bateau de Géricault. Rester dans cette matrice de l’Helvezia battue par le froid. S’imprégner de ces délivrances verbales. La teneur est vive. Les minutes urgentes. L’hédonisme grandiose car il ne se sait pas. « Ouais de temps en temps tu rapportes un cerf à la maison et tu le déposes sur la table de la cuisine, y a pas besoin de mots, dit le Luis, c’est bien assez d’amour. » L’ampleur de « Ustrinkata » est dans la simplicité et dans le juste. Dans cette nuit qui emporte avec elle toutes ces vies qui se noient, gorgées après gorgées. Métaphores fabuleuses d’un refus de fermeture de ce lieu vivifiant et qui ne sera plus. Et d’une littérature de renom qui a tout compris. Beau à pleurer. Traduit de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher. Publié par les majeures éditions Quidam éditeur.
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