Alice a quatorze ans quand elle est hospitalisée : un premier roman foudroyant
Après bien des années d’atermoiement et d’insistance de ses six sœurs restées sur place, Youssef, professeur exilé en France depuis plusieurs décennies, se décide enfin à revenir à Salé, la ville marocaine de son enfance, pour solder l’héritage de leur mère morte. Là-bas l’attendent les souvenirs d’une jeunesse douloureuse, humiliée et violée parce que trop différente et efféminée, et qui ne cesse de le hanter à travers la voix fantomatique de Najib, son premier amour perdu. Ce dernier est quant à lui déjà revenu à Salé. Devenu gros bonnet de la drogue sous la protection d’un colonel de l’armée du roi Hassan II, un homme suffisamment puissant pour s’affranchir des lois et pour vivre sans dommage son homosexualité, il a, pour sa part, décidé de s’y venger de ses anciens tortionnaires en les rendant dépendants de ses largesses. Une revanche personnelle qui ne change rien au terrible sort communément réservé aux homosexuels dans un pays qui les criminalise toujours…
Il y a bien sûr beaucoup de l’auteur dans ce récit, lui l’homosexuel que la société marocaine ne veut pas voir et qu’à travers ses personnages, il sort de sa réclusion en le plaçant au centre de ses romans. Prolongement de lui-même, Youssef se fait la voix des minorités LGBT bafouées dans son pays, mais aussi celle des femmes – Abdellah Taïa a huit soeurs aînées qui, après leur mère, lui ont appris à inventer la liberté quand elle manque – et de tous ceux qui se retrouvent laminés par le pouvoir d’autrui. Transgressif, parfois cru, son livre est un geste politique, un acte de révolte contre la violence sociale. On y découvre une société marocaine paradoxale, empreinte d’un rigorisme moral et religieux n’empêchant aucunement, ni la corruption de faire florès, ni les puissants de favoriser, ouvertement et en toute impunité, des intérêts personnels aussi immoraux qu’illégaux. Malheur aux faibles et sans défense : « Les femmes ne devraient jamais se marier. Le mariage, c’est la mort instantanée. » Et personne ne penserait à s'y insurger contre le viol systémique des garçons trop féminins.
Si certaines scènes sont effroyables, elles sont le strict reflet d’une réalité insupportablement ordinaire contre laquelle l’auteur a décidé de se battre à coups de mots, parce que, pour que les choses changent, il faut d’abord qu’il y ait prise de conscience, et que sans les victimes pour se révolter et oser crier la vérité, cela n’adviendra jamais. Cette rébellion, il l’inscrit jusque dans le titre du roman, en référence à l’histoire de sa ville, Salé, et aux vestiges encore visibles de la muraille construite après le raid meurtrier des Castillans en 1260. Une ville que son personnage n’évoque qu’avec effroi, mais aussi avec beaucoup d’amour. Car, au final, c’est bien l’amour, de sa mère, de ses sœurs, et celui qu’il ressent pour les autres victimes – Najib ou ce petit garçon abusé au hammam – qui le préservent du désespoir en lui redonnant l’estime de lui-même et la force de résister.
Un livre douloureux, magnifique et cruel, où la colère et la révolte finissent par trouver l’amour en réponse à l’hypocrisie et à la haine homophobe qui plombent la société marocaine.
À la mort de sa mère, Youssef, un professeur marocain exilé en France depuis un quart de siècle, revient à Salé, sa ville natale, à la demande de ses sœurs, pour liquider l'héritage familial. En lui, c'est tout un passé qui ressurgit, où se mêlent inextricablement souffrances et bonheur de vivre.
À travers lui, les voix du passé résonnent et l'interpellent, dont celle de Najib, son ami et amoureux de jeunesse au destin tragique, heureux par le trafic de drogue et la corruption d'un colonel de l'armée du roi Hassan II . À mesure que Youssef s'enfonce dans les ruelles de la ville actuelle, un monde perdu reprend sa forme, guetté par la misère et la violence, où la différence, sexuelle, sociale, se paie au prix fort. Frontière ultime de ce roman splendide, le Bastion des Larmes, nom donné aux remparts de la vieille ville, à l'ombre dont Youssef a jadis fait une promesse à Najib. " Notre passé... notre grande fiction ", médite Youssef, tandis qu'il s'apprête à entrer pleinement dans son héritage, celui d'une enfance terrible, d'un amour absolu, aussi, pour ses sœurs magnifiques et sa mère disparue.
Un court récit en liste pour le prochain Goncourt. Nous plongeons dans une quête identitaire poignante et sensible. Un livre amer et lumineux qui explore les méandres de la mémoire et du passé à travers le voyage intérieur de son protagoniste. Une plume autant lyrique qu'introspectif comme mélancolique. De belles descriptions évocatrices, sublimes et incisives.
" Les vagues qui consolent. La fin temporaire de la solitude atroce. Mon âme ressuscitée qui se met d'un coup à chanter joyeusement."
Youssef, professeur à Paris, retourne à Salé, son village natal au Maroc. Sa mère est décédée et il doit retourner sur place pour son héritage. Avant d'y aller, une vague de souvenirs remonte en lui : son adolescence puis sa vie de jeune adulte sont complètement hantée par les violences qu'il a subies du fait de son homosexualité.
Les violences sont loin d'être seulement physiques : tout le monde tourne la tête pour ne pas voir le sort du jeune Youssef. Même ses soeurs ne l'ont pas soutenue pendant qu'ils subissaient ces viols. A travers son histoire mais aussi de celle de son ami d'enfance et d'autres personnages encore, il nous est retranscrit cette espèce de tabou, ce rejet de l'autre quand il n'est pas comme nous, la tradition du Maroc et la religion musulmane aussi qui tel que l'auteur nous le décrit, n'acceptent pas l'homosexualité. C'est avec une certaine pudeur que l'auteur nous raconte cette histoire, sans entrer dans les détails et en nous laissant imaginer ce qui a pu se produire réellement. L'auteur nous relate tout ça en donnant la parole aux personnes qui ont connus Youssef au travers de rêves qu'il a dans la nuit, comme un dialogue entre lui et les autres pour mettre en exergue les désaccords, les désirs de vengeance, l'amour aussi.
J'ai beaucoup aimé cette lecture : les dialogues imaginés dans les rêves de Youssef sont percutants, c'est bien fait, prenant et terriblement révoltant aussi. Très bonne lecture donc.
Je remercie les éditions Julliard et Netgalley pour cette lecture.
Émouvant et poignant
« Vendre, c’est accepter d’être déraciné par les autres. »
Malika, la mère du narrateur Youssef, professeur à Paris, est morte il y a 10 ans déjà quand ce dernier retourne à Salé, sa ville natale au Maroc, « Salé la maudite », pour vendre l’appartement qu’il reçut en héritage. Il est le dernier, ses sœurs se sont déjà délestées de leur part, son frère a également dilapidé tout le mobilier.
Par son geste, tout ce qu’a construit patiemment sa mère durant de longues années au prix de tant de sacrifices aura disparu, « ne nous appartient plus ».
Ce retour est surtout la réouverture difficile du livre des souvenirs, les bons et les plus douloureux moments. Le Bastion des larmes est l’histoire d’une vie, de l’amour, des souffrances, de la pauvreté, de la différence, de l’exil…
Après Vivre à ta lumière où il donnait la parole à Malika, Abdellah Taïa poursuit son œuvre autobiographique avec un roman extrêmement personnel.
Youssef a eu une enfance terrible car il était différent. Il a subi viol et violences insupportables. Mais « C’est ta faute si on te viole. Tu n’avais qu’à ne pas être comme ça, cette chose, cette bizarrerie, cette anomalie. » Il fut traité comme un moins que rien par beaucoup, jusqu’à l’impensable : « Tu es déjà une honte et tu vas nous foutre tous dans la honte. Tais-toi. Que Dieu te fasse brûler vivant jour et nuit. Tais-toi, sale chien. »
Comment se construire dans la différence ?
Youssef aurait aimé entendre certaines paroles de ses sœurs tant aimées.
Comment survivre dans la pauvreté ?
Youssef se souvient des expéditions « courses » avec ses sœurs et de Najib, son ami et un de ses amours de jeunesse. Najib lui parle dans ses rêves, Najib lui fait promettre.
Najib est devenu le héros de tout un peuple. A sa mort, lui le gay a été célébré car il les a tous ensorcelés. « Personne ne résiste au pouvoir des dirhams ». La drogue lui a permis de tous les acheter, la drogue lui a permis de se venger.
« Jamais je n’avais entendu le prénom d’un homme marocain gay célébré, chanté, porté si haut par ceux-là mêmes qui l’avaient détruit au tout début, pendant les années interminables de son enfance gâchée. »
Comme toujours avec Abdellah Taïa, l’écriture est sèche, saccadée, abrupte ou douce, ciselée ou crue. Elle exprime la colère, le regret, la tristesse. Elle pointe la violence et l’intolérance, l’incompréhension. Elle glorifie aussi l’amour, si fort, si vrai, si intense.
Les mots frappent, percutent, émeuvent. Les images demeurent.
Sensible et poignante, la fin du roman est splendide.
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