"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Du premier numéro de Poétique, en février 1970, au numéro 186, en novembre 2019, cinquante ans ont passé. En termes éditoriaux, ce sont environ 25 000 pages, 1 500 articles écrits par 800 auteurs. On se risquera à parler d'une somme. Aussi, pour en faciliter l'usage, comme cela avait été fait en novembre 1994, à l'occasion du numéro 100 et du vingt-cinquième anniversaire de la revue, c'est par l'établissement d'un instrument de recherche, de lecture ou de relecture qu'est marqué cet anniversaire. On trouvera en ligne et en libre accès sur le site CAIRN de la revue (https://www.cairn.info/revue-poetique.htm) et sur celui du Seuil un document intitulé Cinquante ans de Poétique. 1970-2019. Il comprend des tables et index des numéros 1 à 186 : table des articles, table des numéros et des dossiers thématiques, index des auteurs traités, index thématique.
En 1970, il s'agissait de promouvoir la réflexion théorique contre « le quasi-monopole des disciplines historiques ». Projet scientifique et politique, donc. Cinquante ans après, l'apaisement est indéniable. La théorie se porte plutôt bien et chacun a fait les efforts nécessaires : passons sur quelques résistances amères et quelques préjugés tenaces (il en reste), et reconnaissons l'acceptation par l'institution de travaux relevant de la poétique ; de l'autre côté, soulignons une meilleure prise en compte de l'histoire par la poétique, un élargissement des corpus, la redécouverte de la tradition rhétorique, un travail critique considérable. Ainsi une évolution a-t-elle eu lieu, discrète, silencieuse, mais bien réelle. La réflexion théorique peut se poursuivre dans la sérénité et l'on ne va pas s'inventer des guerres pour la pimenter. En tout cas, il suffit d'un coup d'oeil sur ces cinquante années de Poétique pour mesurer l'ampleur du travail effectué et si nul ne peut prédire l'avenir d'une revue, il est raisonnable de penser que la discipline du même nom, qui a plus de vingt-cinq siècles, qui est, en toute rigueur, beaucoup plus vieille que la littérature elle-même, survivra quoi qu'il arrive et poursuivra son chemin.
Le paysage a changé, mais d'autres problèmes ont surgi, et peut-être plus graves. La nécessité scientifique, institutionnelle et politique du travail théorique en doit être réaffirmée d'autant plus fortement. Le contexte ne semble guère favorable aux études littéraires, et nous avons à justifier nos travaux. Aussi, peut-on imaginer qu'il soit possible de se passer d'une réflexion sur le pourquoi et le comment de l'étude des textes ? Nous n'allons pas nous plaindre de cette exigence, mais une tâche difficile et urgente s'impose : contribuer à former un noyau dur des études littéraires, leur assurer un fondement solide et, en même temps, répondre aux reconversions et à la dispersion, voire à la dilution que chacun peut constater. Que cette dispersion soit l'occasion de visiter des champs culturels de toutes sortes, on le comprend aisément, mais, dans le mouvement centrifuge que nous vivons, il arrive trop souvent qu'on traverse les textes sans les voir, qu'on ne les traite plus en objets de langage et qu'on en vienne à oublier l'essentiel : leur analyse, justement, et la réflexion sur les pratiques. Une nouvelle configuration scientifique et idéologique confirme ainsi aujourd'hui plus que jamais la pleine légitimité et la pleine utilité de notre discipline. Dans une autre perspective, mais dans le même esprit, nous avons d'autres bonnes raisons de poursuivre et de progresser : il y a en effet une vertu proprement pédagogique de la poétique. Tout d'abord, elle est puissamment fédératrice : quels que soient l'objet d'étude (l'auteur, le « siècle », puisque c'est encore ainsi qu'on découpe le domaine) et la case dans laquelle chacun est supposé s'installer - ou être installé bon gré mal gré -, parler poétique, c'est décloisonner, faciliter et enrichir l'échange ; personne ne restera confiné dans son lieu particulier. Par ailleurs, elle efface le sentiment d'arbitraire ou de gratuité : c'est par et avec le travail théorique que l'on peut manifester la question essentielle des enjeux d'une recherche et, en conséquence, sa légitimité. Enfin, en se montrant capable d'interroger radicalement nos manières de lire, la théorie littéraire initie à un plaisir particulier, apprend à manier l'abstraction, à inventer des concepts, à bouleverser les préjugés, elle fait comprendre ce qu'est une hypothèse, comment en évaluer la pertinence, elle soustrait « le littéraire » à ces improbables mélanges d'impressionnisme et d'érudition qui ne satisfont finalement ni les amoureux fervents ni les savants austères.
Poétique se caractérise non seulement par son objet, mais aussi par son fonctionnement. Les principes sont ici : favoriser l'invention - un des grands plaisirs de la réflexion théorique est la recherche d'hypothèses neuves ; privilégier la réflexivité -, il convient de contrôler autant qu'il est possible ce que l'on fait ; assurer la lisibilité - pallier la difficulté du propos théorique, le nourrir d'un travail critique et s'efforcer d'établir efficacement le socle commun dont nous avons besoin.
Si chaque numéro, discrètement ou explicitement, fait en sorte de classer les articles reçus et de mettre en lumière des relations qui peuvent les unir, il reste que la revue accepte sans réserve d'être largement soumise au flux d'arrivée des recherches qui se font. Les programmes, qui, comme on sait, saturent l'espace institutionnel, ont sans doute l'intérêt de susciter des travaux et de favoriser les échanges, mais, à l'évidence, tout ne peut ni ne doit être programmé : le programme, la commande risquent aussi de verrouiller la recherche, il faut qu'il y ait du jeu, de l'imprévu, et d'autres champs. Poétique veut rester un espace à la marge d'un système inévitablement contraignant : que les jeunes chercheurs aussi bien que les auteurs confirmés y pensent comme à un lieu ouvert à des textes novateurs, sans restriction de corpus, écrits librement dans le cours d'un itinéraire personnel.
Le document bibliographique qui est aujourd'hui proposé est une façon de mettre à la fois de l'ordre et du désordre dans la production de Poétique. De l'ordre, puisqu'il permet de construire des ensembles centrés sur des questions ou des oeuvres, de composer a posteriori des numéros très structurés qui n'avaient pas (encore) vu le jour et, si l'on veut, de « s'y retrouver ». Reste que, dans le même temps, un désordre d'un nouveau genre s'installe : l'ordre tout relatif, ténu, limité, mais visible des numéros réels disparaît dans l'opération au profit de listes. Les bibliothèques virtuelles n'ont-elles pas cet avantage sur les bibliothèques réelles qu'elles favorisent à l'extrême le vagabondage et l'aventure ? D'un désordre l'autre, le lecteur explorera à son gré ces cinquante années de travail.
M. C.
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