"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans la famille Jallard, chapeliers dans une petite ville de Saône-et-Loire, il y a la fille, Marcelle. Une vie qui s'annonce tranquille, sauf que la guerre de 39-40 vient y mettre son grain de plomb, en lui confisquant son histoire d'amour. Et tout est chamboulé. Parce qu'elle est née fille, qu'elle est bien élevée et n'a pas les armes pour se rebeller, elle va continuer sa vie en la consacrant aux autres, oeuvrant dans l'ombre... Une vie ardente et minuscule, qui pourrait si vite passer à l'as. Et c'est tout le talent de Françoise Henry, avec sa tonalité si singulière, que de rendre complexes et attachants ceux qu'on ne voit plus, qu'on n'a même plus l'idée de regarder et qu'en plus, parfois, on se permet de juger.
C'est une vie comme une autre dirait-on mais pas tout à fait non plus car aucune vie entendez-vous bien aucune vie n'est exactement comme une autrec'est une vie qu'on peut choisir de raconter parce que justement si on ne la raconte pas, comme elle est déjà presque tombée dans l'oubli, alors là ce sera un trou noir Écrivaine et comédienne, Françoise Henry a publié plusieurs romans récompensés par de nombreux prix littéraires dont Le rêve de Martin (prix Marguerite Audoux), Juste avant l'hiver (prix Charles Exbrayat), Plusieurs mois d'avril... et Loin du soleil. N'oubliez pas Marcelle est son douzième roman.
la vie d'une femme qui est mise en lumière dans ce roman. Qu'est ce qui pourrait la sauver de ce train train de vie tout à fait ordinaire, Marcelle vit dévouée aux autres, pour les autres et elle dans tout ça? On s'attache à Marcelle, à sa vie, et on l'accompagne jusqu'à la fin avec bienveillance. Merci de m'avoir fait découvrir ce livre
Comme écrit par l’autrice elle-même, Françoise Henry, ce livre est « un biopic de quelqu’un de pas célèbre du tout d’anti-célèbre ». En effet, l’héroïne principale, Marcelle Jallard, n’a jamais été connue dans sa vie, bien du contraire.
Françoise Henry nous décrit la vie de cette femme, depuis sa naissance en 1922, jusqu’aux ultimes jours de sa vie. Cette personne, Marcelle, il en existe des milliers autour de nous; ces effacées qui mènent des existences banales où elles s’oublient dans leur quotidien et parcourent leur vie sans artifice mais sans jamais se plaindre.
Écrire un livre sur ces gens est quelque chose d’audacieux car il n’y a pas d’« action », de « suspens » à proprement parler. Les jours défilent comme les pages, dans une certaine relativité.
Très contemplatif, ce roman tient lieu d’une espèce d’hommage à ces hommes et femmes, que nous croisons tous les jours, dans la rue, dans les magasins, dans les transports publics, sans nous retourner, sans leur adresser un regard.
Pour cette protagoniste, Marcelle, un seul petit détail aurait pu tout changer dans sa vie, mais elle a préféré s’effacer, mettre son bonheur personnel de côté, à son propre détriment qu’elle devra supporter jusqu’à son décès.
Dotée d’une plume sensible et délicate, Françoise Henry apporte un peu de lumière à ces individus blessés par la vie et les décortique dans leur complexité. La grande originalité est de raconter cette vie sans y mettre de point à la ligne. L’unique sera le final car « dans une vie, il n’y a jamais de point si ce n’est le final quand il n’y a plus rien à dire ».
Dorénavant, nous n’oublierons plus ces Marcelle, toutes les Marcelle.
Dans un monde où tout va (trop) vite, où règnent souvent un manque de considération des uns pour les autres mais aussi une propension au jugement facile, Françoise Henry fait le choix de nous conter l’histoire de Marcelle qui peut paraître somme toute ordinaire mais qui mérite de ne pas être oubliée, comme celle de chacun d’entre nous.
« c’est une vie comme une autre dirait-on mais pas tout à fait non plus car aucune vie entendez-vous bien aucune vie n’est exactement comme une autre
c’est une vie qu’on peut choisir de raconter parce que justement si on ne la raconte pas, comme elle est déjà presque tombée dans l’oubli, alors là ce sera un trou noir
et bien sûr qu’on pourrait essayer de sauver une autre vie en lui consacrant un bouquin, un petit bouquin de plus, mais même en y vouant toutes ses forces en y consacrant tous ses jours et toutes ses nuits armé d’un stylo on ne pourra jamais sauver toutes les vies alors la sienne, oui »
La façon d’écrire est originale, au niveau de la ponctuation (jamais un point, sauf le final) et de la disposition des phrases dans le texte. Elle est libre et peut être un peu perturbante mais seulement un peu. On lit comme en apnée, on dévore cette vie simple en apparence quasiment d’une traite.
« parce qu’il y a quelque chose dans cette vie, quelque chose qui semble ne pas vouloir mourir
on peut même la raconter sans mettre de point car dans une vie il n’y a jamais de point si ce n’est le final quand il n’y a plus rien à dire »
Il y a de la solitude mais aussi beaucoup d’abnégation dans cette vie-là. Marcelle vit davantage pour les autres que pour elle-même, même si l’on retient bien trop facilement son « sacré caractère ». Mais ce caractère l’est-il réellement, sacré ?
Elle passera une majeure partie de sa vie dans la petite ville de D. en Saône-et-Loire, là où ses parents tenaient une chapellerie rue Nationale, près des bords de Loire. Puisque j’ai longtemps vécu au cœur de ce département, j’ai facilement pu identifier la ville de D. et cela a apporté ce petit grain de sel, cette sensation de connaître l’endroit et de vivre au plus près des personnages.
Mais revenons-en à Marcelle puisque c’est elle l’héroïne extra-ordinaire, celle qui fut aux services de tous toute sa vie, jusqu’à en sacrifier son amour de jeunesse et vivre seule, toujours, si ce n’est avec sa mère afin d’accompagner sa vieillesse. Elle fait partie de ces personnes que l’on ne remarque pas, ou si peu, que l’on ne comprend pas toujours et que l’on étiquette sans rien savoir d’elles, ou si peu de choses. Ne laissant apparaître qu’une façade lisse, peut-être fade, et l’impression que l’on ne parviendrait jamais à « atteindre le noyau tendre ».
« (…) Marcelle épousait le sort de ses parents, elle épousait leurs tracas leurs soucis au jour le jour elle épousait leurs joies aussi leurs éclats de rire leurs histoires drôles (…) elle épousait tout ça avec beaucoup de calme et sans regret semblait-il, tout ça au lieu d’épouser
Pierre Andersen »
Je trouve l’idée merveilleuse, de laisser subsister l’âme d’une personne, son histoire et ce qu’elle était alors qu’a priori elle pourrait être vite oubliée. Permettre à cette vie minuscule de se poursuivre, celle dont l’ardeur intérieure n’a pourtant jamais cessé.
La longueur du texte est juste comme il faut pour nous tenir en haleine de bout en bout, pour dévaler les phrases, sauter à la ligne suivante, au mot d’après, celui en minuscules et parfois en majuscules, pour parcourir les rues et les lieux de la vie de Marcelle Jallard, de 1922 à 2018. Quasiment un siècle, ce n’est pas rien.
N’oubliez pas Marcelle, c’est laisser l’infime prendre place dans nos vies, c’est nous questionner sur notre rapport au monde et à ses habitants, c’est regarder les autres avec bienveillance et laisser tomber les apparences. C’est considérer. Une lecture pas si ordinaire qui trotte encore un peu dans la tête, APRÈS.
Sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2023/08/23/lecture-noubliez-pas-marcelle-de-francoise-henry/
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