"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Tu quitteras sans retour la ville dévastée pour t'enfoncer dans la forêt. Tu marcheras vers le nord. Tu fuiras la lumière et tomberas du côté foisonnant du miroir. Tu verras, encore debout, les animaux et les plantes. Eux aussi te verront. Car ce livre est un pont, une cassure, une allégorie qui se replie sur elle-même. Un exil, une résistance. Tu fuiras et, dans ta fuite, tu entremêleras ta destinée à celle d'autres humains.
Avec eux, tu lutteras contre le froid, la faim, la promiscuité, les pilleurs. Bientôt vous ne serez plus qu'un noyau minuscule dans l'immensité des plateaux de gneiss mangés par les aulnes et le myrique baumier. Avec eux, tu devras tout reconstruire. Dans les glaces brisées du territoire, tu croiseras peut-être un reflet autre. Affûte tes lames et pars. Le monde est une gorge à trancher.
Tableau accroché sur les murailles fissurées. Toile macrocosme, toucher du bout des doigts les couleurs. Attendre l’heure de la transcendance. Anne-Marie Desmeules dévoile les ravages, meurtrissures. Manichéenne, l’écriture est l’étoile du Sud, Rois-Mages et renaissance. Peut-être faudra-t-il du temps. Nature morte figée, immanence. « Je suis partie, j’ai traversé le fleuve à la nage. Celles qui m’ont accueillie m’ont fait me dévêtir, m’ont donné à boire et à écrire, allongée dans mes draps frais…. J’en voulais aux esprits de la forêt qui me chantaient encore plus seule. » « Ma fatigue, mon immense fatigue, enfin dégorgée de pluie. » Ce texte poétique lynché au scalpel, profond et grave est le chemin pourtant le plus sûr pour renouer avec l’universel. Transmutation : « Le monde désormais refoule ses écailles, sa blancheur à pointe de canif. » Fouler les voies de traverse, observer les signes qui s’élèvent dans l’orée d’un contre-jour, stupéfié par la droiture d’une auteure qui passe son tour et offre sa toile de maître. « Les champs nous ont vus, tachés de fruit et de dents-de-lion, nous emparer de la voie des merles… Des portes s’ouvrent ou bien se ferment : lumière et mort, cachette et disparaître…. Le vent pardonne tout » « Nature morte au couteau » survivance, bagage trop lourd, la vie vacille et broie les siens à coup de haine, taches indélébiles, nature morte agonisante. Écoutez ce chant venu des limbes : « Nous enfants de géhenne, dessaisis de nos biens, laissons moisir les chaumières…Nous sommes peu nombreux à connaître encore les chants par cœur. » Reconquête d’un soi universel, résistances et rappels, crissures sur la glace. Abolir « Ces rites de saleté ». Enfin, « Nous espérons un jour regagner nos terres. » Métaphore, étincelle, la nature signe au couteau les intériorités éclatées. Reste ce que la beauté ensorcelle dans ses mystères, happe et pourvoit à l’initiatique ferveur d’un recommencement vierge de souffrances. Les résistances déformées par l’effort d’accomplissement. La ville détruite par l’emblème des ratures, bavures sur la nature morte. Fermez les yeux, laissez monter cette voix qui assigne : « Nous parcourons des pays sans fenêtres, leurs maisons tracées à la craie. Les enfants-allumettes dorment parmi les jacinthes. » Ce poème triste, gris pâle, fait baisser subrepticement nos regards dentelle. Être jacinthe « pour un jour seulement ». Déjà, ce serait de l’or dans les mains d’Anne-Marie Desmeules. Ce texte métaphorique est une clairière. Le parchemin des résiliences et des possibles encore. « Lumière blanche comme un voile pour abolir le monde. » Incontournable. Une urgence de lecture ! Publié par les majeures Éditions Le Quartanier.
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