"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans ce roman dont l'action se situe en Normandie pendant la Deuxième guerre mondiale, au moment du débarquement, Jean-Luc Bizien met en scène, loin du front, des individus confrontés aux réalités de la survie en temps d'occupation.
Avril 1944, Caen est soumise au contrôle de l'occupant et aux bombardements alliés. Cécile, parce qu'elle est une dentiste réputée et que les praticiens se font rares, se voit contrainte de soigner toujours plus de patients, y compris des militaires allemands dont elle finit par accepter l'argent, tout en refusant celui de ses compatriotes dans le besoin. Quand la menace se fait trop grande, elle se résout à abandonner la ville en compagnie de sa mère infirme. Pierre, son mari, ne veut pas la suivre : il est médecin et son devoir est à l'hôpital. Cécile, après quelques expéditions à vélo à travers une campagne normande lumineuse, véritable oasis de paix au sortir de la ville bombardée, finit par trouver une maison qu'elle peut acheter, la maison de Marie Joly. Dans ce lieu dit la brèche au diable, elle et sa mère trouvent un refuge. L'endroit semble bénéficier d'un halo de protection : la figure tutélaire de Marie Joly, une actrice du dix-huitième siècle dont ce fut la demeure, veille depuis le promontoire rocheux sur lequel se trouve son tombeau. Cécile accueille là une jeune femme perdue, Edma, qui vient accompagnée de sa mère et de ses deux filles. Puis elle se voit confier Emmanuel, le jeune garçon d'un médecin, ami de son mari. Ce dernier lui amènera plus tard un couple et son bébé. La nouvelle communauté vit en paix, " comme une parenthèse dans la guerre ".
Mais bientôt le piège de la brèche au diable se referme. Car c'est là, au sud de Caen, que va se jouer une des batailles les plus sanglantes du débarquement - celle de la poche de Falaise - et la maison devient le théâtre de la guerre. Les troupes passent et y font halte, apportant ainsi par bribes les échos de la bataille. Quand la maison est investie par les soldats de la Wermacht, puis par les Waffen SS, Cécile est rattrapée par l'horreur qu'elle avait fuie. Les Français doivent s'accommoder de la proximité pesante de l'ennemi.
De ce huis clos naissent des situations ambiguës, moins manichéennes et moins simples qu'il n'y paraît : si les Allemands deviennent les maîtres du lieu et poussent Cécile et sa petite tribu à vivre reclus dans le grenier, ils font, contre toute attente, parfois preuve de civisme. Ils procurent de la nourriture à Cécile et protègent le groupe de certains soldats agressifs. Parce qu'elle a des enfants sous sa responsabilité, parce qu'elle veut survivre à la guerre et elle-même fonder une famille, Cécile parfois surprend chez elle des comportements moins radicaux que ceux que lui auraient dictés ses valeurs d'avant-guerre. Avec une détermination à toute épreuve, elle se bat pour nourrir et soigner ceux qu'elle a sous sa protection. Quand les Allemands sont chassés par les alliés, les libérateurs tant attendus découvrent avec suspicion cette femme qui a su maintenir sa maisonnée en bonne santé. Pour Cécile, la guerre n'est pas finie, la libération porte encore son lot de paradoxes et d'injustices.
À travers des personnages aussi complexes que celui de Cécile, pour qui " survivre à la guerre était un devoir ", aussi absolus que celui de sa mère, résolument hostile à tout compromis face à l'ennemi, aussi dévoués que celui de Pierre, portant secours jour et nuit aux blessés dans un hôpital pour partie détruit, Jean-Luc Bizien relit, soixante ans après, une histoire complexe dont les beaux rôles souvent furent distribués par les résistants de la dernière heure. Magnifique portrait d'une femme ordinaire confrontée aux difficultés du quotidien, son roman juste et sensible éclaire sous un jour différent la grande Histoire que l'on connaît.
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