"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le XIXe siècle impose une nouvelle figure du lecteur : celle d'un solitaire, égaré au milieu d'une foule anonyme et lointaine, déchiffrant silencieusement le livre qu'il vient de se procurer. C'est ce lecteur-là, muet et impénétrable, qu'Edgar Allan Poe met en scène ; c'est à lui qu'il s'adresse, comme à un destinataire inconnu, au-delà des frontières du temps. Voilà pourquoi les Tales of the Grotesque and Arabesque font procéder le texte de mécanismes étroitement apparentés à la mort. Voilà pourquoi encore l'écriture y prend la forme d'un mystère impénétrable qu'un héros d'un genre inédit - William Legrand ou Auguste Dupin - s'efforce de percer à jour. L'oeuvre, devenue univers, doit se soumettre désormais à ces lois de répulsion et d'attraction dont Eureka détaille le fonctionnement. Parcourir l'espace de la page équivaut à s'enfoncer dans des chemins toujours plus sinueux et impénétrables, pour tracer une route nouvelle jusqu'aux portes de l'au-delà. Alors entend-on enfin « sourdre une mélodie ravissante » et voit-on surgir « une masse d'architecture moitié gothique, moitié sarrasine, qui paraît se soutenir dans les airs comme par miracle, faisant étinceler sous la rouge clarté du soleil une centaine de fenêtres en encorbellement, de minarets et de clochetons », l'adorable Domaine d'Arnheim, « oeuvre fantastique des sylphes, des fées, des djinns et des gnomes réunis ».
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