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Un soir d'orage, où le courant électrique a été coupé, un homme - qui ressemble beaucoup à l'auteur - est assis à une table, chez lui. Éclairé par le feu de la cheminée, il est en train de lire un livre pour enfant, Pinocchio. Dans la pénombre, une présence apparaît à ses côtés, une présence évanescente qui évoque le profil du fils qu'il n'a jamais eu. L'homme imagine lui adresser la parole, lui raconter sa vie : Naples, la nostalgie de la famille, la nécessité de partir, l'engagement politique. À travers cette voix paternelle, ce fils spectral assume progressivement une consistance corporelle. La confession devient confrontation, la curiosité un examen intérieur, le monologue du départ se transforme en dialogue, au cours duquel un père et un fils se livre sans merci.
Un soir où un orage a coupé l'alimentation électrique, Erri de Luca entame une conversation avec ce fils qui n'est jamais né et qui aurait quarante ans.
Il lui parle de sa vie de ses choix, de ses parents, de la langue, de Naples et de la montagne, des luttes des années 70, de sa vie d'ouvrier avant qu'il puisse vivre de ses livres, de tous ces moments qui ont fait sa vie
Il ne raconte pas des souvenirs, mais évoque des moments, des causes, des personnes qui l'ont accompagné dans sa construction, qui ont fait de lui l''home qu'il est devenu
Il évoque les souvenirs de ses parents, ce tremblement de terre de 1944, où la poussière devait être déblayée des toits, où les marins américains offraient des menus cadeaux aux napolitaines, où les chasseurs alpins ne combattaient pas lés américains.
Dans une langue simple, aux phrases courtes, ciselées, débarrassées de tout superflu, il se décrit et se raconte.
Et petit à petit, ce fils qui n'est jamais venu au monde prend de l'importance, pose des questions, pousse ce père qui n'en est pas un dans ses retranchements
On ne ressent pas à cette lecture le regret de n'avoir pas engendré, mais on a le plaisir d'en avoir appris un peu plus sur l'auteur au travers de ce roman extrêmement émouvant
« Le jeu de l'oie. On lance un dé et on se déplace dans un circuit en spirale. »
La vie est comme un plateau de jeu avec le hasard du dé.
C'est un exercice autobiographique très original, l'auteur se confrontant au fils imaginaire, surgi une nuit d'orage où l'électricité a laissé la place à la lueur d'une bougie.
Entre impudeur et pudeur cette mise à nu est d'une sincérité sans faille, dans un style toujours aussi inspiré et toujours relancée par les questions du fils putatif.
Revisiter sa vie, c'est faire revivre père et mère : « Ce fut prodigieux d'avoir un père. Maman était réelle, quotidienne, lui était sporadique, prestidigitateur de sa présence. »
En une phrase tout est dit.
Le fils qu'il a été et qu'il est toujours, n'aura pas reproduit de descendance.
Avant de vivre de sa plume, il a été ouvrier pendant vingt ans, le premier au front des revendications pour plus de justice et d'équité. N'hésitant jamais devant l'affrontement quitte à devoir être clandestin. Puis il y a eu la guerre de Bosnie.
Il a habité ce XXème siècle comme un homme debout.
Cet homme fait de de la montagne de livres laissés par son père, les cauchemars de sa mère, dus à la guerre et à l'inquiétude que toute mère développe face à sa progéniture.
Une façon de cultiver son esprit et la montagne pour façonner son corps comme un artisan.
« Je reste un inexpérimenté chronique, même si je suis doué pour certaines choses. »
C'est pourquoi : « Je n'aurais pas pu t'élever, je me suffisais à peine à moi-même. »
Au cœur d'une nuit d'orage, le constat est simple ; « Quelle puissance la vie, elle passe au-dessus de tout. Une autre journée s'annonce et on se sent tiré en avant, au-delà de sa mère morte. »
L'homme Erri De Luca constate « Dans quelques milliers d'année, la Terre effacera toute trace de notre présence. Nous ne faisons qu'accélérer notre passage à l'archéologie.
Nos descendants très lointains se référeront à notre époque comme à celle de la grande extinction. Quelques lignes de leurs livres d'école liquideront notre prétention à être inoubliables. »
Une lucidité qui éclaire son chemin de vie.
Il nous raconte un peu de « cette vie qui a filé. »
Un livre comme une leçon d'humanité, pas sentencieuse, non, juste éclairante, réfléchissante.
Une leçon parce qu'Erri De Luca est un homme en mouvement.
L'idée est ingénieuse de dialoguer avec son fils, pour une mise en abyme d'une vie riche, combien d'homme peuvent en dire autant ?
Une langue juste qui entraîne le lecteur dans sa vérité, celle de la confrontation car sinon y aurait-il la vie ?
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 30 juillet 2019.
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