"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sander, evans : ils ont produit quelques-unes des icônes du xxe siècle tout en prétendant n'y être pour rien.
Le " style documentaire " (la formule est d'evans, 1935) relève du paradoxe. par quel miracle ces photographes qui présentent leurs oeuvres comme des duplications du monde, de purs reflets, qui assurent que c'est le motif qui fait la photo, que c'est le modèle qui dicte l'image, par quel miracle ces réductionnistes, ces objectivistes ont-ils non seulement engendré une suite infinie de disciples mais aussi fourni les témoignages les plus durables sur l'allemagne de weimar (sander) et sur l'amérique de la dépression (evans) ? comment interpréter cette " neutralité " efficace ? comment cette " absence " de l'auteur a-t-elle suscité l'excès de présence des oeuvres ? par quelle alchimie l' " effacement " radical de l'artiste a-t-il pu devenir le comble de l'art ? olivier lugon a consacré plusieurs années au style documentaire, tant aux états-unis qu'en allemagne.
Il a travaillé à berlin et à cologne (en particulier sur le fonds sander), dépouillé à washington les archives de la fsa (farm security administration), interrogé les survivants. il a lu les périodiques, les correspondances, les catalogues, les livres de l'entre-deux guerres. il a rassemblé une masse d'informations sans équivalent dans l'édition française et internationale. le paradoxe du style documentaire ne pouvait s'éclairer que par le contexte institutionnel, esthétique et politique de la période.
Il fallait reprendre de fond en comble l'histoire de la photographie entre 1920 et 1945. olivier lugon nous décrit le rôle et l'accrochage des grandes expositions internationales en allemagne, l'activité des premières galeries, les fluctuations de la fsa pendant le new deal, les rapports de sander avec le groupe des artistes progressistes de cologne ; il nous révèle la qualité et l'ardeur polémique d'une prose critique souvent rédigée par les photographes eux-mêmes (w.
Evans, b. abbott, a. renger-patzsch, r. hausmann) ou par des théoriciens (w. petry, w. benjamin, s. kracauer en allemagne, l. kirstein ou e. maccausland aux états-unis). ceux-là s'interrogent sur l'impersonnalité comme valeur, sur les notions de vérité et de témoignage, sur la spécificité supposée du médium, sur la pertinence de la série et de la séquence, sur le statut de la légende, sur le portrait avec et sans pose, sur la photo de famille, sur la prise de vue à l'aveugle, etc.
Du même coup, les photographes du style documentaire inventent leur passé en sortant de l'oubli les grandes figures qui les ont précédés eugène atget (dont berenice abbott acquiert le fonds), lewis hine, mathew brady, julia cameron. ils promeuvent la carte postale, les clichés anonymes, en appellent aux photographes amateurs. eclipsé pendant la guerre, le style documentaire resurgira vingt ans plus tard, relayé par diane arbus, lee friedlander, garry winogrand, bernd et hilla becher, ainsi que par leurs élèves thomas ruff, thomas struth, andreas gursky.
Mais son rayonnement ne se limite pas à la photo. le style documentaire - en premier lieu le travail de w. evans - influencera durablement l'art américain d'après-guerre, du pop art au minimalisme, de jasper johns à l'art conceptuel. jamais le rôle fondateur de la photographie dans l'histoire de la représentation figurative n'aura été à ce point manifeste.
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