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Pas facile de vivre minable quand on rêve grand, pas facile de mâcher soir après soir ses coquillettes quand la seule chose qui tienne au ventre est la peur de décevoir Lili. Lili si douce et si forte ; Lili qui dit qu'on s'aime, avec les enfants, et que ça personne ne pourra jamais l'enlever. Est-ce qu'on apprend « à espérer toujours moins » ? Et le monde, il pèse combien le monde sur les épaules ?
Avec Lili, on ne se dispute jamais. On dirait que c'est impossible. Lili est ce genre de femme devant laquelle on ne peut pas élever la voix. On sait que c'est inutile. Ou alors, on a peur de la voir se briser comme un verre de cristal. Pourtant, je sais bien qu'elle est solide. Sinon, elle ne pourrait jamais supporter de vivre avec un type comme moi. Un type qui foire, un type qui doit probablement souffrir de vertige tellement il a toujours été incapable de gravir le moindre échelon social. Oh, c'est pas que j'aurais vraiment voulu aller très haut. Je sais bien qu'au sommet la merde a la même odeur qu'ici.
Mais j'aurais bien aimé atteindre le palier de la respectabilité. L'endroit où tu cesses d'avoir honte de ce qu'affichent tes fringues, honte de ta crasse, honte des produits premier prix que tu poses sous le regard vaguement méprisant de la caissière.
Lui, on ne connait pas son prénom. Ou s'il nous le dit, on ne le retient pas. De lui, on sait l'amour immense qu'il porte à Lili, sa femme, la mère de ses enfants. Ses enfants dont il prend soin du mieux qu'il le peut pendant que Lili part travailler.
Car lui n'a plus d'emploi, plus de droits à une quelconque allocation.
Lui, il traine son mal-être, sa douleur, sa misère par devant lui. C'est un sentiment de nullité qui l'accapare. Un profond goût d'injustice. Un anéantissement. Un terrifiant appel au secours que personne n'entend, ni ne voit, ou ne veut entendre ou voir. A part Lili qui est là, à ses côtés, qui partage le pire, qui se contente avec toute la joie de vivre qui lui reste du verre à moitié plein plutôt que de s'absorber dans celui à moitié vide.
Cette nouvelle, signée Marlène Tissot aux éditions Lunatique, est un véritable coup au coeur. La vie dans ce qu'elle a de plus beau et de plus horrible. C'est le ressenti d'un homme qui se débat dans les méandres d'une déchéance qui l'engloutit chaque jour davantage.
Ce récit m'a fait penser à Zola, à ses descriptions sans filtre de la condition humaine.
On ne peut rester insensible à ces mots, ces phrases coups de poing, coups de sang, qui nous laissent espérer avant de nous terrasser. Et pourtant, n'est-ce pas ce que l'on fait en détournant le regard face à la misère?
Un récit d'une puissante lucidité.
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