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le haut mal
Le gamin poussa la porte et annonça, en regardant la femme de ménage qui, les mains sanglantes, vidait les lapins :
- La vache est morte.
Son vif regard d'écureuil fouillait la cuisine, à la recherche d'un objet ou d'une idée, de quelque chose à faire, à dire ou à manger et il se balançait sur une jambe tandis que sa soeur, ronde et frisée comme une poupée, arrivait à son tour.
- Allez jouer, prononça Mme Pontreau avec impatience.
- La vache est morte !
- Je le sais.
- Vous ne pouvez pas le savoir, puisqu'elle vient de mourir.
Mme Pontreau se leva, bouscula le gamin.
- Toi aussi, va jouer, cria-t-elle à la petite fille.
Et elle referma la porte, tandis que, dehors, les gosses cherchaient une occupation.
Mme Pontreau n'avait pas menti. Elle savait que la vache était morte. Elle était au courant de tout ce qui se passait à la ferme.
Mme Pontreau vit avec ses trois filles et son gendre Jean Nalliers, dans la ferme de celui-ci. Jean a des difficultés à gérer le personnel et est épileptique. La belle-mère ne le porte pas dans son coeur. Lors d'une crise de celui-ci, elle le pousse du haut du grenier, engendrant sa mort. Ni vue, ni connue, ou presque. Dans le village, des commérages se propagent, au grand détriment des filles. La femme de ménage qui était présente ce jour-là semble savoir quelque chose. Elle est un peu folle et on ne comprend pas tout ce qu'elle dit, mais malgré l'incohérence de ses propose, les doutes surgissent. Comment cette femme simplette pourrait-elle devenir riche soudainement, comme elle le prétend ? Mme Pontreau continue cependant à tenir la tête haute et garde ses filles avec beaucoup de rigueur, sans même se soucier de leur santé mentale. Une horreur de bonne femme, une ambiance très froide comme Simenon sait si bien créer.
Mme Veuve Pontreau n’aime pas beaucoup son jeune gendre Jean Nallier : il n’est pas fortuné, il présente mal, ne sait pas se faire respecter de ses ouvriers agricoles et en plus, il est épileptique. Décidément, sa cadette méritait mieux, et lorsque Jean fait une crise dans un vieux bâtiment agricole, Mme Pontreau « l’aide » discrètement à chuter de plusieurs mètres et à se rompre le cou : problème réglé ! Mais peut-on vraiment être sur que personne n’a rien vu ? Un ouvrier agricole un peu fouineur, une femme de ménage un peu dérangée, père éploré décidé à trouver un coupable à son deuil, Mme Pontreau, qui supporte sans problème la culpabilité de son geste, doit néanmoins vivre avec la menace que quelqu’un ait vu quelque chose. Ce court roman de Georges Simenon nous emmène dans la campagne charentaise de l’après-guerre, où les vies sont rudes, où l’on règle les problèmes sans beaucoup d’états d’âmes et où les mères toxiques régentent la vie de leur fille. C’est essentiellement le portrait d’une femme fière mais sans le sou, qui ne perd pas son temps avec l’affection ou les sentiments, et qui finira par payer son crime, mais d’une façon détournée. C’est agréable à lire même si les transitions sont un peu ardues : on va à la ligne et on se retrouve avec un autre personnage à une autre époque, c’est déconcertant au premier abord, et puis on finit par s’habituer. De cette histoire toute simple de crime familial, Simenon tire non seulement le portrait d’une femme mais aussi d’un village français des années 50, replié sur lui-même, où tout le monde se connait, où tout le monde juge tout le monde, et aussi où, les jeunes femmes sont prisonnières de leur famille, parfois jusqu’à la mort. Mme Pontreau a trois filles et une emprise totale sur les trois, elle règle leur vie jusque dans les moindres détails, décide de tout, régente tout : une femme forte, une mère écrasante. Des trois filles, deux finiront par lui échapper, de deux façons brutales et différentes, la troisième semble partie pour devenir le clone de sa mère. Cette famille dysfonctionnelle, ce crime quasi gratuit et sans états d’âmes, cette absence étrange de remords, cette justice qui ne cherche pas très loin les réponses à ses questions, tout nous parait étrange, décalé et anachronique et pourtant, « Le Haut mal » respire surement le vrai d’une autre France d’une autre époque !
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