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Ce livre dit la tragédie et la grandeur du vingtième siècle. Il traite du passage de relais entre un père et sa fille, au plus haut niveau d'action artistique et politique. Échappant à la tourmente nazie, Leo Sirota, virtuose à l'égal des plus grands, forma au cours des années trente l'élite des pianistes japonais. Sa fille Beate, élevée au Japon dont elle possédait parfaitement la langue, rédigea à 22 ans auprès de MacArthur l'article décisif sur l'égalité des sexes dans la constitution pacifique élaborée par l'occupant. Rentrée aux États-Unis en 1947, elle se consacra pendant près d'un demi-siècle à sensibiliser le grand public américain aux traditions théâtrales de l'Asie. Elle nous a quittés le 30 décembre 2012, suscitant un hommage planétaire.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, le japon, allié des puissances de l'Axe, est laissé exsangue par la défaite. A l'humiliation et la douleur s'ajoute l'installation des forces d'occupation sur le territoire national. Pour ce peuple de tradition guerrière, il est difficile d'accepter la reddition mais, la guerre terminée, il faut préparer l'avenir et assurer la paix. Les alliées, américains pour la plupart, décident de doter le Japon d'une nouvelle constitution, en remplacement de celle qui datait de l'ère Meiji. C'est une page vierge qui s'offre aux rédacteurs qui ont pour mission d'empêcher de nouveaux conflits, de réduire le rôle de l'empereur et de garantir les droits des japonais. Parmi eux, une femme, ou plutôt une jeune fille, s'attache particulièrement à définir le statut et l'égalité de la femme. Soumises à leur père puis à leur mari, les femmes jusqu'alors ne pouvaient décider de rien. Grâce à Beate Sirota et son article 24, elles pourront désormais bénéficier des même prérogatives que les hommes. Mais comment une américaine d'origine autrichienne, âgée de 22 ans à peine, s'est-elle retrouvée aux côtés du général MacArthur dans cette exaltante aventure qui posait les fondements de la nouvelle société nipponne ?
Malgré son titre très poétique, Le dernier bateau pour Yokohama n'est pas un roman mais plutôt la somme des travaux de recherche et des connaissances de Michel WASSERMAN et Nassrine AZIMI, le premier s'attachant à évoquer la carrière de Beate Sirota après la guerre, au sein de l'Asia Society, la seconde se concentrant surtout sur l'élaboration de l'article 24, tous deux ne cachant pas leur admiration pour la jeune fille passionnée puis la femme engagée.
Si l'on peut s'étonner de la présence d'une toute jeune fille dans l'équipe de MacArthur, la légitimité de Beate est très vite évidente. Elle a grandi au Japon, elle parle couramment le japonais et surtout elle aime profondément ce pays, amour transmis par son père, le pianiste Léo Sirota qui fut chef de la section piano de l'académie impériale de musique de Tokyo. Si les rapports entre le pays du soleil levant et les Sirota ont beaucoup souffert pendant la guerre, l'attachement n'en est pas moins demeuré intact et ils n'ont jamais oublié l'accueil, la chaleur et la générosité du peuple japonais, à mille lieues de la suspicion et des brimades, seuls faits des militaires. C'est donc tout naturellement que Beate s'est attelée à la tache, forte de sa connaissance du Japon et surtout surtout sensible à la condition des femmes dans la société. Si sa contribution à la constitution nipponne est longtemps restée secrète à l'étranger, au Japon, elle a toujours été connue de tous et particulièrement des femmes, admiratives et reconnaissantes. Après la guerre, les liens qu'elle a tissé avec le Japon continue de dérouler leurs fils et Beate va consacrer sa vie à faire connaître le théâtre japonais aux Etats-Unis. Suivront les arts de la danse, les folklores, du Japon, puis de l'Asie toute entière. Infatigable, curieuse et obstinée, Beate parcourra le continent en tous sens, des grandes villes aux contrées les plus reculées, à la recherche de ses trésors cachés. Mais jamais cette passion pour l'art et son rayonnement n'occultera son engagement pour la cause des femmes nippones et toujours elle viendra à la rescousse de son article 24 pour contester les amendements éventuels que voudraient lui apporter les gouvernements successifs, surtout conservateurs.
Peu connue du grand public, Beate Sirota nous est rendue proche par le travail très complet des deux auteurs. Outre leurs contributions, on y trouve le récit d'Augustine, la mère de Beate, épouse de Léo, au moment où le couple hésite entre rentrer au Japon ou rester en Amérique, alors que le conflit mondial prend de l'ampleur, et, une fois pris ''le dernier bateau pour Yokohama'', leurs difficiles conditions de vie dans un pays où ils sont désormais considérés comme des ennemis, ainsi qu'un entretien avec Beate qui a tenu à participer au livre malgré sa fin proche, et des extraits des constitutions japonaises, celle de l'ère Meiji et celle mise au point par les alliés. Un ouvrage très complet donc qui raconte une famille d'artistes ouverte sur le monde, les autres cultures, la fraternité entre les peuples. Un bel hommage aux Sirota, passionnant et instructif.
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