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L'amitié, réalité apparemment accessible et quotidienne, constitue un défi redoutable pour la pensée, car c'est une chose que l'on vit avant de véritablement la comprendre ou la définir. Et c'est précisément lorsque l'on cherche à en déterminer les exigences propres qu'elle se révèle insaisissable, voire inquiétante, parce qu'elle refuse de se fixer sur quelque justification... C'est cette inquiétude qui anime l'essai d'Emerson, publié en 1841. Si les premières pages décrivent avec enthousiasme la puissance de cette pulsion altruiste, la force des attentes qu'elle suscite apparaît bien vite sous un jour beaucoup plus sombre. L'amitié qu'Emerson appelle de ses voeux est si exigeante, si « pure », si détachée, qu'elle doit être décrite comme une simple « affinité », pouvant changer sans cesse d'objet, parce que qu'elle ne peut s'attacher à rien de trop identifiable et de trop concret. Tout l'essai tourne autour de ce paradoxe, selon lequel la sensibilité qui commande l'amitié est si délicate que rien ne peut durablement ou pleinement la satisfaire. Cet essai s'inscrit dans une longue tradition qui passe notamment par Aristote et Montaigne, et que l'on retrouvera aussi chez Nietzsche (avec son « amitié d'étoiles »). Mais Emerson montre d'une manière particulièrement radicale, lucide et directe, à quel point ce sentiment apparemment simple et bien connu, poussé dans ses conséquences extrêmes, est chargé de contradictions et d'angoisse.
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