"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Elena Viani vit à Venise, dans le palais familial, avec son frère et sa grand-mère. Une Venise occupée par les troupes allemandes. À la suite des massacres perpétrés par les nazis et les fascistes, Elena renoue avec des amis engagés dans la Résistance et accepte de cacher Martino, un jeune partisan recherché. Une relation naît entre les deux jeunes gens, interrompue par le retour de Martino au maquis.
À l'automne 1944, Elena décide à son tour de rejoindre les partisans dans les montagnes. Mais l'annonce de la mort de son frère la ramène à Venise. Suit un hiver de solitude émaillé de rencontres au Florian avec Francesco, écrivain désabusé qui la voit comme une vestale, et qui désespère autant qu'elle de trouver un sens à la vie.
« La Vestale » est un classique de la littérature. Venise en immersion sous l’occupation nazie. Ce pourrait être un roman serré comme un café fort. Un mur qui se fissure immanquablement. L’âpreté d’une occupation sans issue possible. Mais Liliana Magrini est douée et en mimétisme absolu avec cette période oppressante.
Sa plume est douce et ses regards sincères. On ressent entre les pages une féminité apaisante.
Il faut dire que l’autrice est vénitienne. Elle écrit en français et on imagine aisément, après avoir lu la biographie finale, des points communs entre elle-même et Elena Viani, la protagoniste principale.
Ici, c’est une mise en abîme de peu de protagonistes. On est d’emblée en complicité avec ces derniers. On suit des yeux jusqu’au point final Elena Viani, à Venise.
Une jeune femme mélancolique, secrète et aérienne. Elle semble d’emblée une vestale, pâle et énigmatique. Sensuelle par ses traits de caractère pudiques et réfléchis. Manichéenne en quelque sorte, d’ombre et de lumière dans ses approches amoureuses.
Elle vit dans un antre aisé et confortable, un palais avec sa grand-mère qui décline fortement et son frère Luca, gravement malade.
Sa grand-mère vit en recluse dans sa chambre. Elena écrit. Elle est dans le même rythme que cette occupation. Elle comble les heures avec douceur, voire lassitude.
Elle est un contre-poids au monde extérieur, de par la vitre où le reflet des allemands est synonyme de filature, de surveillance et de délation.
D’aucuns ne peuvent penser à ce qu’un jour certain elle accepte de cacher un homme : Martino.
Sa prestance silencieuse est gage de secret. Elle acte avec les résistants son soutien pour cet homme.
« Avec une détresse presque enfantine, pendant toute la matinée, Martino avait semblé attendre Elena, en rôdant dans les pièces où il pouvait la rencontrer. »
On aime cette ferveur innocente. Cette grâce juvénile des commencements. Et pourtant Elena est au cœur des mouvances. Elle sait que Martino va partir. Venise est en plongée dans le contre-feu. Les résistants blottis dans les montagnes et cachés dans les coins de mur. Venise panse ses plaies. Elle va vouloir rejoindre les partisans. Quêter l’ombre de Martino. Se heurter de plein fouet à la force de ces hommes de l’ombre. Mais Martino n’est plus là. « Quoi ? pensait-elle ; allait-elle se prendre déjà pour une vraie résistante, rien que pour ce repas avec eux, dans cette atmosphère de vacances ? Non, c’était pour l’instant un jeu, mais ce qui ne l’était pas, c’était cette émotion de se sentir ensemble avec eux . »
Le roman est dans le vif des rapports humains. Des trahisons, des meurtres et des frustrations. Se battre pour chasser l’ennemi. Venise est écartelée. Elena pleure la mort de Luca. Elle rayonne des rencontres avec Francesco. Sourit de voir « La Vestale » renouer avec ses intériorités d’une femme d’écriture et de rêve. Elle, qui touche l’homme comme une caresse sur une peinture. Tout le charme du livre est ici.
« J’ai aimé Giulio, répondit-elle tout bas sans le regarder, et j’ai aimé Martino. Mais je voulais un état où l’amour pût ne jamais être qu’un recours dans la fatigue.. Qu’il fût toujours comme chercher un corps lorsqu’on est ardente de soleil, et que l’on sent la respiration de la mer, la brûlure de la pierre. Pour sceller un accord . Jamais pour confirmer une séparation d’avec le tout ; parfois, d’avec l’être même qu’on aime. »
« J’ai cherché la communion. La Vestale ! Et ma gifle. »
Il faudra attendre le 25 juillet 1943 et la destitution de Mussolini. Renouer avec la vie et les nostalgies des aimés. Les cicatrices vives de Venise, qui cherche encore son souffle. Ce roman est l’ombre de Liliana Magrini.
Publié une première fois en 1953 par les Éditions Gallimard. Saluons sa renaissance grâce aux Éditions Serge Safran éditeur.
À noter une préface explicite de Bruno Racine et « La Venise qui résiste. 1943-1945 » par Maria Teresa Sega. En marge de « La Vestale » : Liliana Magrini et Louis Guilloux par Arnaud Flici et Liliana Magrini Biographie par M.F.
Maintenant en format poche au doux prix de 8,90 € : « Carnet vénitien » de Liliana Magrini toujours aux Éditions Serge Safran éditeur.
« Désormais elle chercherait le partage là où, chacun répond seul de sa propre vérité . » Une fierté éditoriale !
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