"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, dit Monsieur « Oui-Oui », alias Napoléon III, comme tous les monarques venus sur le tard, se distinguait par des pensées de longue haleine, que la fréquentation des libéraux, des antipapistes, des socialistes utopiques, les bannissements, les conjurations et leurs revers, les voyages forcés, avaient exagérées, ou déformées : c'est ainsi que, soumis à tous les vents des regrets ou de l'amertume, son esprit contracta, durant l'exil à Londres, la fièvre tenace du Modernisme, qui réconciliait alors en la cité anglaise les bienfaits de l'Industrie et ceux des Bénéfices, les avancées des Techniques et un souhait nouveau d'Hygiène - le Progrès, en somme. Aussi, malade enthousiaste de toutes ces visions d'avenir, s'inquiéta-t-il, dès son retour en France, du moins lorsqu'il en conquit le trône par la force en 1851, d'aérer sa capitale ; de la tourner, par des aménagements résolus, vers un confort moderne que la condensation populeuse, accusée par les sciences d'infections et de leur propagation, d'un Paris resté dans son jus médiéval, empêchait jusque-là. Lui-même fit, à main levée, quelques dessins d'architecture. Plus sûrement, il délégua à des techniciens le soin de lui dégager des avenues, propices à la parade et aux ovations (outre qu'elles contrariaient l'émeute spontanée et dissuadaient l'embuscade) et choisit Haussmann, Georges Eugène, un enfant de la préfectorale, très-ambitieux en toutes choses, afin d'élargir et peaufiner le premier coup de crayon que le baron d'emprunt avait acéré et sans remords. Nommé Préfet de la Seine, il se fit en la matière l'exécuteur zélé des hautes idées de l'empereur progressiste. La suite est connue, du pouvoir de modification que Haussmann eut sur l'entièreté du paysage parisien, de l'arasement des quartiers, des tracés au cordeau, des lacérations, des ouvertures, et, en tout, de l'émergence d'un style dans lequel Paris se fit une toilette du dernier chic et de réputation mondiale (que le touriste surnuméraire du XXIème siècle contemple encore). L'empereur, qui croyait en un capitalisme bienfaiteur, de mécénat, par ruissellement, convia de bon coeur à ses grands plans la banque et la finance : elles y vinrent, affamées et, à leur suite, les affairistes pullulèrent comme mouches sur la viande, le cours de la pierre à tailler s'envola, les édiles et la bureaucratie dérogèrent dans le négoce des lots. Les travaux allaient au train des fortunes, et des scandales. Les protestations affluaient, ensevelies sous les maçonneries et l'évidence irréparable des effacements. Haussmann, à bâtir d'arrache-pied, manquait parfois d'espaces, non d'inspirations : il eut la révélation, d'apparence farfelue, contre l'avis d'abord général, d'exiler les cimetières intra-muros vers la grande périphérie. Cette décision considérable n'eut aussitôt guère de contestataires ; et c'est initialement seul que Victor Fournel, historien énamouré du vieux Paris et de ses rues et de son peuple, érudit pointilleux, journaliste sous pseudonyme, critique averti, homme de peu et d'allure dépareillée, s'inquiéta de dénoncer, pendant qu'il était temps, l'absurde et les ridicules qui entouraient cette étonnante et monstrueuse « déportation des morts », dont à sa manière sans-pareille, méthodique, documentée, enjouée, allusive, féroce, cet obscur chroniqueur de la Ville, touché au coeur, fit le procès implacable. De guerre lasse et après tout ce bruit, les défunts, y compris les plus récents, furent conservés en les murs.
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