"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Zahia Rahmani est née en Algérie en 1962. Elle a fait de sa biographie le matériau de son travail littéraire. Ses cinq premières années en Algérie, son père devenu harki, sa langue maternelle, le Berbère, son éducation en France, ont nourri deux livres remarqués : Moze (2003) et " Musulman " roman (2005). France, récit d'une enfance, s'inscrit dans la même veine, se présentant comme le panneau manquant d'un triptyque.
À lui seul, le titre semble pointer une impasse : rien dans cette enfance-là n'est simple, puisque sans cesse il faut marteler les évidences. Française, la narratrice l'est, par l'école, le nom des rues, les chansons de variétés, la vie à la campagne, les fêtes villageoises et par les papiers aussi. De ses premières années en Algérie, elle ne garde que le souvenir du départ précipité en bateau.
Des années plus tard, au chevet de sa mère gravement malade, ses souvenirs affluent. Comme pour conjurer l'inévitable disparition de cette femme, la narratrice dit dans des pages déchirantes ce que cette mère est pour elle, et ce qu'elle lui a permis enfant, dans une campagne de France qui la rejette. Se déroule alors un récit qui dit le désir de vie d'une jeune fille en conflit avec le père, dans une société rurale finissante.
Les obstacles sont nombreux tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Sans cesse l'enfant, puis la jeune fille, pose à son père la même question : Pourquoi tu m'as amenée là ? Avec cet homme au destin brisé par l'histoire, le dialogue est impossible : sur sa fille qui s'émancipe, il pose un regard désapprobateur et incrédule. Tout lui échappe : dès leur premier conflit - elle exige de regarder la télévision après les informations et termine sa soirée seule devant l'écran -, il lui renvoie l'image d'une fille impure et indigne et la chasse de son enfance. De même qu'elle en est chassée par le regard des habitants du village, qui ne voient en elle qu'une étrangère, occupant la maison des anciens maîtres du village.
L'adulte d'aujourd'hui comprend que si elle s'est sortie de cette violence qui lui a été faite, c'est à la complicité de sa mère qu'elle le doit. Cette mère qui refuse de s'assimiler et d'apprendre le français, qui parle aux oiseaux et libère les animaux en cage, n'a de cesse de lui apprendre le respect d'elle-même et de lui transmettre en langue berbère sa version de l'histoire des hommes. Inlassablement, elle lui raconte d'où elle vient, et lui enseigne ce qui signifie un héritage. Il n'y a pas un vide derrière elle : elle n'est pas l'enfant sans passé et sans gloire dont la société française lui renvoie l'image.
Cette initiation la met sur le chemin du monde. Attirée par tout ce qui est absent à sa culture, la peinture et la littérature deviennent très vite pour elle des promesses d'ailleurs. La première communauté que se constitue la jeune lectrice, c'est celle des laissés-pour-compte de la littérature américaine, ses " frères pauvres", ses compagnons d'infortune. L'enfant tente de vivre, donne des gages, devient une excellente élève, s'en va cultiver les jardins des voisins, se trouvent de nouveaux amis, se convertit à la lutte politique par idéal du partage.
La révolte ne l'a pas quittée, qui habite ce texte, ni le sens du combat : si Zahia Rahmani se penche aujourd'hui sur son enfance, c'est avec le désir de dire haut et fort que les enfants ne sont pas responsables de ce qu'ont fait leurs parents. Et le sens de son livre est certainement tout entier dans cette dernière phrase d'un article qu'elle y insère, et qui en 2004 avait été refusé par El Watan " pour injure et insulte au peuple algérien " : Je fus exclue de ce pays. Je souhaite de tout coeur aux Algériens que jamais plus un des leurs ne se trouve dans la situation de devoir poser une bombe dans son propre pays. Et si c'était le cas, comme ce fut le cas il y a peu de temps encore, je demande que l'on ne condamne pas les enfants de cet homme. Pas les enfants. Plus jamais.
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