"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au bout de quatre années de suivi des débats, l'Observatoire de la stratégie américaine du CIRPES fait le bilan des tentatives de mise en forme de la stratégie du XXIe siècle des États-Unis en analysant les paradigmes de la transformation : RMA, civilianization, asymétrie, guerre de l'information, contreprolifération et défense antimissiles, space power, projection de puissance.
Le débat intersubjectif américain (Congrès, Exécutif, Pentagone, analystes de la défense) avait abouti à un appel à la "Révolution dans les affaires militaires" (RMA), à la réforme radicale pour faire face aux mutations translocalisantes et réticulaires de l'environnement international. Ce nouvel environnement (au sens darwinien) est le vecteur de menaces non-étatiques et "asymétriques" auxquelles les forces armées US, préparées essentiellement pour une guerre conventionnelle de masse, peuvent difficilement faire face (terrorisme, narco-trafic, prolifération, guerres interethnique, urbaine, de prédation, de l'information).
Or, aujourd'hui il apparaît que non seulement la réforme vers la RMA, programmée pour 2025, est laborieuse et peu convaincante (sa faisabilité est remise en cause), mais également que la notion même de RMA a peu d'emprise conceptuelle. Vers quel paradigme métastratégique peut-elle conduire? On perçoit bien que la RMA a des ambitions stratégiques démesurées qui consistent à vouloir transformer la guerre elle-même, dans ses voies et moyens et dans ses modes, à la "dompter" (full spectrum dominance). Il s'agit pour les stratèges américains, de se donner les moyens (capabilities) de vaincre (neutraliser) tout adversaire, non plus par les potentialités stratégico-politiques de la menace d'escalade (dissuasion) mais par l'évitement du conflit (military diplomacy), la préemption ou l'attaque décisive. Or ce schéma idéal est entaché par une série d'inconnues : comment maîtriser l'asymétrie, protéger les systèmes informationnels, recadrer la doctrine nucléaire, assurer le contrôle des moyens spatiaux, en somme, comment permettre la projection de puissance américaine au XXIe siècle.
La réforme du système stratégique américain est expérimentale et systémique. Au niveau opérationnel, la conceptualisation des différents acteurs (les quatre armes, l'interarmes, les commandements combattants), tend vers la réalisation de la Révolution dans les affaires militaires selon des schémas différents mais qui ont tous pour objectif : l'intégration des technologies de l'information (network-centric warfare), afin de limiter ou résoudre tout conflit à son niveau le plus bas en neutralisant l'ennemi (par la paralysie informationnelle et/ou la létalité ciblée et décisive) dans la phase initiale du conflit (préclusion stratégique), avec des forces peu nombreuses et dispersées. A un niveau stratégique, l'intégration n'est plus seulement informationnelle ("système des systèmes") mais elle est également civilo-militaire au sens le plus large (civilianization) selon deux processus parallèles, la Revolution in Business Affairs (RBA) et l'intégration décisionnelle civilo-militaire.
L'asymétrie apparaît comme l'inquiétude majeure des stratèges américains, qui estiment que la domination américaine dans le domaine militaire conventionnel peut encourager les adversaires à utiliser des moyens asymétriques. On peut s'interroger sur la portée du concept de l'asymétrie, notamment dans la reformulation de la grammaire stratégique. Le paradigme de l'asymétrie ne va-t-il pas imposer la norme stratégique du fort au faible pour contrecarrer la stratégie du faible au fort ? Les Américains ne sont-ils pas en voie de reproduire les effets pervers de la stratégie nucléaire, qui à terme a incité les nations en quête de puissance à essayer d'entrer dans le "club" ?
Le défi asymétrique le moins maîtrisable est sans doute la guerre de l'information. L'émergence d'un nouvel espace d'action et de télécommunication interconnecté, le cyberspace, rend caduque la notion de sanctuaire national, et fait apparaître de nouvelles vulnérabilités à grande échelle. La National Information Infrastructure (NII) incarne un ensemble de dispositifs d'accès, de transport, de traitement et de protocoles informatiques permettant la transmission d'informations en temps réel et la transaction sans obstacles douaniers et tarifaires (e.commerce). Ce qui est visé c'est l'intégration des réseaux numériques d'information américains, privés et publics, civils et militaires, au sein d'une même architecture, et à terme l'intégration d'un système mondial (Global Information Infrastructure).
L'autre grand défi asymétrique est la prolifération des armes de "destruction massive" (missiles balistiques, armes nucléaires, biologiques et chimiques). Plus une question politique que militaire, la sanctuarisation du territoire US demeure l'orientation majeure du débat au Congrès. Les essais indiens et pakistanais, les rebondissements des inspections en Irak, les essais de missiles nord-coréens et iraniens, ont dramatisé le débat sur la défense antimissile du territoire américain (National Missile Defense). Aujourd'hui le gouvernement américain apparente le programme NMD au projet "Manhattan".
La domination spatiale, le Space power, sera sans aucun doute le concept nodal de la géopolitique du XXIe siècle. Tout comme le Sea power au XIXe siècle permettait le contrôle impérial par la maîtrise des lignes de transit et quelques points d'ancrage stratégiques, le Space power détient les clés du contrôle informationnel et logistique. Depuis les années 1950 les États-Unis affinent l'exploitation des applications spatiales aussi bien dans le cadre militaire que dans le cadre commercial. Les forces armées américaines se sont dotées de puissants instruments de maîtrises de l'observation, de la navigation, et des télécommunications spatiales (National Imagery and Mapping Agency, modernisation du système GPS, recours à des satellites de télécommunications militaires et commerciaux). Le Space power est un instrument de puissance géopolitique, mais il est également envisagé comme un moyen stratégique de sanctuarisation national, avec le projet de défense antimissiles (NMD).
La projection de puissance est l'ultime but du système stratégique américain. Les représentations stratégiques de la projection de puissance sont historiquement marquées par l'expérience interventionniste dans le bassin des Caraïbes. Cette expérience "proto-coloniale" semble, à bien des égards, former la matrice de la projection de puissance (militaire et géopolitique) vers le Moyen-Orient (la "Sud stratégique" des États-Unis). Au schéma de la proximité de l'"arrière-cour", correspond aujourd'hui le modèle de la projection directe CONUS (Continental US)->étranger. Il n'est d'ailleurs plus question de présence en avant (forward presence) mais de présence à l'étranger (overseas presence). La configuration de forces pléthoriques stationnées à l'étranger, constituant le bord d'attaque pour un renfort à grande échelle, est en voie d'obsolescence. Le quadrillage informationnel des aires potentielles d'intervention, le prépositionnement, la normalisation croissante des forces armées locales, ainsi que les moyens de projection directe CONUS->étranger, devraient permettre la déterritorialisation progressive de la puissance américaine.
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