"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un matin, Jeong Sugwan se lève en ayant la pénible impression que toute sa journée ne va être qu’une suite de galères. Et ça ne manque pas d’arriver ! En pleine séance de rasage, son beau rasoir Gillette tout neuf tombe en panne, lui laissant la moitié du visage non rasé. Quand il veut prendre l’ascenseur, celui-ci est en dérangement avec un homme bloqué à l’intérieur. Au moment de monter dans le bus, il s’aperçoit qu’il a oublié sa carte chez lui. Pendant qu’il parlemente avec le chauffeur, le conducteur d’un poids lourd perd le contrôle de son véhicule qui finit sa course en percutant le bus. Et quand enfin Jeong arrive fort en retard à son bureau, voilà qu’il se retrouve bloqué à son tour dans un ascenseur en compagnie d’une jeune collègue… Une jeune femme se marie avec un drôle de prétendant. Il n’a que peu d’intérêt pour les choses du sexe. Il ne la pénètre jamais. D’ailleurs, il déclare ne pas vouloir d’enfant. Sa jeune épouse le soupçonne d’être un immortel ou un vampire qui aurait renoncé à se sustenter de sang frais…
Cet ouvrage venu de Corée est un recueil de quatre nouvelles bien écrites et agréables à lire, toutes dans un registre étrange et fantastique, mâtiné d’une certaine dose d’humour. La première, celle de l’homme dans l’ascenseur est sans conteste, la plus réussie et la plus drôle. La deuxième, « Vampires » est la plus fantastique, mais d’un intérêt moindre. La troisième, « L’amour à haute tension » avec cette histoire d’homme devenant de plus en plus invisible à mesure qu’il tombe de plus en plus amoureux, est tout aussi réussie que la première et atteint même le niveau du conte philosophique. La dernière « L’homme qui n’avait pas d’ombre » présente pas mal de similitudes avec la précédente. L’ensemble est divertissant sans plus. N’en déplaise au commentaire dithyrambique de la quatrième de couverture, (« Entre Kafka et Buster Keaton, des nouvelles scintillantes d’humour noir. Un régal !), le lecteur restera plus réservé. Non, Kim Young-ha, charmant tâcheron du fantastique, n’est en aucun cas à placer au niveau de Kafka, Poe, Ionesco ou Marcel Aymé, mais plusieurs étages en dessous !
Un petit livre qui a tout d'un grand.
J'ai été un peu effrayé au début de ma lecture par la structure de ce livre qui est découpé en chapitres très courts. J'avais peur que cela soit un peu trop haché pour moi, ce qui présenterait du coup quelques difficultés pour rentrer vraiment dans l'histoire.
Verdict : j'ai terriblement accroché et j'ai dévoré ce livre d'une traite. Le rythme est parfait, l'écriture est belle, les thèmes abordés sont traités d'une manière que j'ai trouvé très intéressante. On en vient presque à éprouver de la peine pour cet homme atteint d'une maladie qu'on ne souhaite à personne. Ce vieillard qui a pourtant tué de nombreuses personnes dans sa vie.
J'ai également apprécié la fin, pleine d'émotion, même si je n'ai pas été surpris outre mesure.
Lorsque l'on regarde le tableau de René Magritte "l'Empire des lumières" ; éponyme du roman de Kim Young-ha ; au premier coup d'oeil tout semble parfaitement normal.
Il y a un ciel et il y a une maison. Oui mais, le ciel est bleu comme en plein après-midi, et la maison est plongée dans une nuit profonde.
C'est une rencontre entre deux réalités paradoxales.
Et rapidement on a une impression d'étrangeté devant ce mélange de choses existantes mais qui associées entre elles relèvent du rêve et de l'illusion.
On va vivre une expérience similaire tout au long du roman de Kim Young-ha qui se déroule le temps d'une journée particulière.
Kiyeong, le personnage central, est un petit patron de Séoul importateur de films étrangers sans grand succès, un père de famille et un mari quelconque voire insipide .
Un jour il reçoit un message, un haïku de Basho qui va le sortir de son quotidien à la fois confortable et terne : "Au fond de la jarre/sous la lune d'été/une pieuvre rêve".
C'est un ordre de retour en Corée du Nord.
Là, changement de perspective et l'on découvre un agent infiltré nord-coréen, tellement bien intégré à la société sud coréenne , qu'il avait quasiment oublié ce fait ou bien imaginé que la Corée du nord l'avait oublié.
Kiyeong a été un jeune espion surentraîné, capable de tuer sur commande. Il est maintenant un homme entre deux âges au corps mou totalement indécis et affolé quant à la décision à prendre.
Mais le principal protagoniste de ce roman est en fait la Corée, pays scindé en deux par des accidents de l'histoire: le sud brillant de mille feux la nuit à Gangnam, le rêve coréen de félicité par la consommation. Et vivant de ce fait les affres de la ville moderne, le désenchantement, les difficultés de communication, la fin d’un modèle communautaire.
Le nord fermé et isolé mais qui inspire à Kiyeong une certaine nostalgie de sa jeunesse et de ses certitudes, d'un monde perdu.
Kim Young-ha entrelace les fils de son intrigue, et se fait passeur entre l'ancien et le nouveau.
La dimension politique est également traitée, de façon indirecte mais néanmoins présente.
Il rend compte sans démonstration et laisse le lecteur tirer les conclusions qu'il souhaite.
Il reproduit dans l'intention Magritte dont la peinture n’est pas là pour peindre le réel, mais pour permettre de s’interroger sur lui.
Vieillard paisible, Kim Byeong-su profite de sa retraite pour lire les grands philosophes et composer des poèmes. Il vit avec sa fille adoptive Eun-hee, dans une maison isolée de la campagne coréenne. Mais depuis un moment, sa vie est perturbée par des absences et des pertes de mémoire. Le verdict est sans appel : Byeong-su souffre de la maladie d'Alzheimer. Alors il écrit, il enregistre, il tente de gérer le quotidien et sa mémoire à court terme qui disparaît. Parce qu'en ce qui concerne le passé le vieil homme n'a rien oublié, il se souvient parfaitement de son ancien hobby : tuer. Depuis son premier meurtre, à l'âge de 15 ans, jusqu'à l'interruption de sa ''carrière'' de tueur en série quand il en avait 44, Byeong-su n'a cessé de tuer des hommes, des femmes, des enfants sans jamais attirer l'attention de la police. Mais malgré l'âge et la maladie, les souvenirs qui s'effacent et se mélangent, il est contraint de reprendre du service. Un autre tueur sévit dans la région et il rôde autour de Eun-hee. Byeong-su le sait, il doit tuer cet homme avant qu'il ne s'en prenne à sa fille.
Peut-on prendre en pitié en tueur en série ? Oui quand il est faible, vieillissant et tourmenté par une mémoire défaillante. Oui quand il se bat avec ses lambeaux de souvenirs dans le seul but de sauver sa fille. Oui quand il use de toutes les ficelles de la mauvaise foi pour justifier sa vie et ses actes. Oui quand on le voit sombrer dans le trou noir de la maladie d'Alzheimer.
Mais bien sûr cela ne va pas sans un sentiment de malaise, grandissant à mesure que l'on découvre ses ''exploits'', au fil de son récit qui se découd, qui n'est pas fiable, qui jongle entre le réel et les souvenirs modifiés par une mémoire défaillante. Car Young-ha Kim se joue de son lecteur. Après l'avoir amadoué avec cette histoire d'un pauvre vieux diminué par l'âge et attaché à sauver sa fille en danger, il le retourne en lui montrant la vérité, l'horreur et la mort.
Maître du suspense et de la manipulation, Kim livre ici un roman noir et anxiogène, teinté de poésie et de réflexions sur la vie, la vieillesse, la maladie et la mort. Une belle découverte, originale et cruelle.
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