"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Est-ce que les deux héros de « Donne-moi encore cinq minutes », Bnaya et Yoav, ne sont pas un seul et même homme : l’auteur de ce livre ?
N’est-ce pas lui qui se sens tiraillé entre deux visions d’Israël, entre le monde traditionnel et le moderne, dans ce pays scindé en deux ?
Que de questions pose ce roman !
On voit aujourd’hui encore qu’il est très difficile de répondre à toutes ces questions et malheureusement l’incompréhension demeure…
Yonatan Berg brosse le portrait de deux trentenaires juifs israéliens , Bnaya et Yoav. Ils sont amis depuis l'enfance mais leurs chemins se sont séparés depuis plusieurs années.
Bnaya est un homme très pieux qui n'a jamais quitté la colonie où il est né. Il a suivi la route toute tracée qui s'offrait à lui en fondant une famille et en devenant enseignant dans une yeshiva. Il mène une vie routinière mais sa relative tranquillité d'esprit est mise à mal par l'imminence du démantèlement de son village implanté en territoire occupé. Faut-il s'opposer à la décision du gouvernement ou tout simplement accepter de se laisser déraciner pour s'installer ailleurs ? Au sein de la communauté les esprits s'échauffent et sous l'impulsion de jeunes ultra-nationalistes la violence éclate, obligeant Bnaya à remettre en cause ses certitudes.
Yoav, lui, a tourné le dos à la colonie et à la religion. Après son service militaire, il a pris deux années sabbatiques pour voyager en Inde et en Amérique du Sud où il a pris l'habitude de s'immerger dans la musique, les fêtes, l'alcool et la drogue. Puis il s'est installé à Tel-Aviv, suit des cours en fac et vit de petits boulots. Il se sent seul, déprimé mais refuse de "voir quelqu'un ". Un jour où il s'est bien défoncé pendant une rave, il revit un événement traumatisant survenu lors d'une arrestation qui a très mal tourné pendant son service militaire. Il ressent alors le besoin impérieux de retourner dans le village palestinien où ça s'est passé, là où il a laissé une partie de lui-même, une partie qu’il doit récupérer pour pouvoir se débarrasser du sentiment de culpabilité qui le hante et le détruit à petit feu.
Si Bnaya et Yoav ont emprunté des voies opposés, tous deux sont arrivés à un tournant de leur vie où ils comprennent qu'ils ne peuvent plus continuer sur leur route familière. Il est temps pour eux de s’extirper de la zone d’ombre où ils sont restés coincés depuis trop longtemps.
Avec pour toile de fond le problème brûlant de l'implantation de la population juive en territoire palestinien, le portrait croisé de ces deux hommes, dessine celui d'une réalité israélienne contrastée où tout comme le laïc et le religieux, les juifs et les palestiniens s'ignorent, se côtoient, s'opposent, se mélangent..
Dans ce premier roman porté par une belle écriture, parfois très poétique, Yonatan Berg ne prend pas parti, ne dénonce rien ouvertement mais restitue avec finesse et objectivé toutes les nuances de ce tableau complexe, riche en couleurs dissonantes.
Ce qui est tout particulièrement intéressant c'est qu'il a grandi près de Ramallah, dans une de ces colonies religieuses qu'il connaît donc bien, et dont il nous fait découvrir le quotidien.
Je peux me tromper mais j'imagine que l'on retrouve beaucoup de Yoan Berg dans ses deux personnages. Comme Yoav, il a tourné le dos à la religion et quitté la colonie quand il était adolescent. Bnaya doit probablement incarner celui qu'il serait devenu s'il n'était pas parti.
Le roman fait 500 pages, c'est parfois un peu long dans la description minutieuse de certaines scènes, comme celles d'un mariage ou d'une réunion du conseil local qui m'ont parues interminables. Malgré tout et contrairement à mon habitude, j'ai lu nuit et jour, délaissant même les repas, pour avancer dans ma lecture tant j'ai été passionnée par cette histoire qui sort des sentiers battus.
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