"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Loin de vous ce printemps, Absent in the Spring dans la version originale parue en 1944, a été publié en 1951 par les éditions Robert Laffont, puis en 1985 par la Librairie Générale Française dans la collection Livre de Poche, et en 2000 par les éditions du Masque. C'est le troisième des six romans publiés sous ce pseudonyme. De l'aveu d'Agatha Christie, elle écrivit ce roman pendant le Blitz, à Londres, dans la solitude de son appartement moderne de Hampstead, voisin de celui du poète Robert Graves.
Dans son Autobiographie, la romancière déclare que ce livre était celui "que j'avais toujours eu envie d'écrire, qui depuis toujours apparaissait clairement dans mon esprit. C'était le portrait d'une femme ayant une image toute faite d'elle-même, de ce qu'elle était, mais qui se trompait complètement." Pourquoi, dans ce cas, ne l'avait-elle pas écrit plus tôt, alors que le plan était clairement dans sa tête. Dans son Autobiographie, l'auteur s'en explique ainsi: "A présent (1944), j'étais en mesure de lui en fournir la toile de fond", qu'elle avait découverte au cours de ses nombreux voyages en Orient, sur les pas de l'archéologue Max Mallowan, son second mari, lorsqu'elle avait dû séjourner, en attendant un train retardé, dans un de ces relais "tenus par des indigènes qui ne parlent pas un mot d'anglais." Un endroit éloigné de toute civilisation moderne où, après avoir épuisé votre réserve de livres et de revues, vous vous retrouvez désœuvré, face à face avec vous-même. Le récit de cette crise évoque, par sa structure, un huis-clos théâtral, dans lequel le fond et la forme se mêlent dans une totale harmonie.
Joan Scudamore, en route pour Londres en revenant de Bagdad où elle a rendu visite à sa fille malade et à son gendre, est une femme comblée, entièrement satisfaite de sa vie, se retranchant derrière le confortable paravent des convenances, du bon maintien, des principes et de la discipline. Après un voyage épique en autocar, arrivée trop tard à Tell Abu Hamid pour prendre le Taurus-Express qui doit la mener à Istanbul, où elle doit passer dans le Simplon-Orient, elle se retrouve coincée dans un trou perdu pour une durée indéterminée, en tout cas au moins trois-quatre jours."Un peu plus loin, derrière un autre réseau de barbelés, le bâtiment trapu devait être la gare, flanquée d'une sorte de puits artésien, ou d'une citerne. Au loi, vers le Nord, l'horizon était marqué par un profil imprécis de montagnes. Autour, le néant. Pas de clôtures, pas de maisons, aucun végétation, pas un être humain." (Page 35).
Ayant rapidement épuisé sa réserve de livres, bientôt Joan, étant la seule personne habitante du relais, à part le cuisinier et son aide, se retrouve livrée à elle-même. Afin de ne pas sombrer dans l'ennui, elle décide de penser aux moments clés de sa vie. Peu à peu, sa confiance en elle va s'effriter, taraudée par cette terrible question: tout va-t-il si bien qu'elle le croit?
Soudain, écrasée par ce ciel sempiternellement bleu, par cet horizon si vaste, par ces heures de désœuvrement, Joan est frappée par une terrible prise conscience: se remémorant certains détails qu'elle avait cru insignifiants, de petites phrases assassines prononcées par ses proches, des allusions perfides entendues ici et là, elle se rend compte qu'elle e construit sa vie sans tenir compte de l'avis de son mari Rodney, ni de celui de ses enfants: "Elle avait méconnu ses enfants, méconnu Rodney. Elle les avait aimés, certes, mais sans les connaître. Elle aurait dû s'efforcer de les comprendre. Quand on aime quelqu'un, il faut essayer de le voir tel qu'il est." (Pages 212-213)..."Elle aimait Rodney, et pourtant elle lui avait imposé sa volonté personnelle. Si elle l'avait détesté, sa conduite eût été excusable. S'il lui avait été indifférent, ç'eût été moins rare. Mais elle l'aimait et, malgré cela, elle l'avait privé d'un droit indiscutable, celui de choisir son mode, son genre de vie." (Page 230).
Le postulat de départ de Loin de vous ce printemps, roman psychologique introspectif, qui va occuper l'héroïne pendant quelques jours, jusqu'à la mener au bord du gouffre, est le suivant: "Je me demande si l'on n'avait rien d'autre à faire que penser à soi-même pendant plusieurs jours, je me demande ce que l'on découvrirait..." (Page 23).
Le roman semble se dérouler dans un paysage et à une époque indéfinis, l'auteur ne donnant aucune indications précises, sauf à une occasion: allusion à l'imminence de la guerre mondiale dont la menace plane sur le monde civilisé tel un vautour, comme si la parenthèse se refermait sur l'introspection de Joan pour revenir à la vraie vie.
Les grandes qualités de ce roman est la connaissance intuitive et toute en finesse d'Agatha Christie de la nature humaine, de la psychologie qu'elle utilise telle une baguette magique pour sonder les profondeurs de l'âme de son personnage, jusqu'à lui faire sortir des choses qu'elle n'aurait jamais soupçonnées.
Le +: l'atmosphère délicieusement surannée d'un monde à jamais disparu, un monde en apparence lisse, propre, dont les jours s'écoulent comme un long fleuve tranquille. Mais ce n'est qu'une illusion...
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