"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est l'histoire d'une pièce de théâtre devenue livre. En mars 2019 les premières représentations de Lalalangue (Prenez-en et mangez-en tous) naissent sur la scène de l'Ogresse Théâtre ou encore au Cirque Electrique pour finir au prestigieux Théâtre du Rond-Point à Paris. Cette pièce offre un seul-en-scène brillant et féroce signé Frédérique Voruz et Simon Abkarian à la mise en scène. Face à son succès grandissant, Lalalangue s'est changée en objet de papier sous l'impulsion des éditions Harper Collins.
Frédérique a évolué dans une fratrie de sept enfants. Sa mère est enceinte lorsqu'elle chute des calanques dans lesquelles elle pratiquait l'alpinisme. La malheureuse y perd sa jambe et ses jumeaux. Lors de son réveil à l'hôpital, l'amertume de l'instant – celui des passions envolées, ne lui laisse échapper qu'une ultime sentence : « Je me vengerai sur les enfants ». Tandis que le père de famille se terre dans sa chambre pour panser l'angoisse de la jambe disparue de sa femme, Frédérique subit nuit et jour cette mère qui ne s'est désormais trouvée utile que dans la religion et l'absolue misère du monde : l'hébergement de sans-abris ivrognes, la dégustation d'aliments décomposés ou un amour infaillible destiné à un chanteur catholique. Survivre pour vivre à soudainement tout d'un adage lacanien.
Disons-le d'emblée : si Frédérique Voruz et Jean-Louis Fournier se rencontraient, ils refonderaient à eux seuls le thème des relations familiales dans la littérature et cela formerait une sorte de Big Bang où graviteraient l'humour noir, la délicieuse acidité des mots et l'étrange paradoxe de ceux que l'on déteste tout en les aimant. Dans ce récit autobiographique au titre emprunté à Jacques Lacan, l'autrice déroule un récit de vie aussi drôle qu'effrayant, bercé dans un « mysticisme médiéval » par une mère qui voit en la vie « le sacrifice à chaque instant ». Ici, les enfants ne sont pas rois puisque les chiens de la maîtresse de maison prennent amplement cette place en allant chaque matin copuler avec tous les canidés du quartier. La fratrie est, bien au contraire, la victime d'un drame dont elle n'est pas fautive : la prothèse de la mère, objet de toute convoitise perçu comme le magma de l'amour maternel.
L'actrice et autrice déroule ce quotidien et se délecte d'anecdotes impensables aux côtés de sa « soeur punk », de « Jean-Christophe Granadda » troubadour chrétien des temps modernes qui fait chavirer les ménagères en mal d'amour et les excursions au « Misorobus » autrement dit la vente paroissiale de laquelle ils repartent avec « tout un tas de merveilles » cassées et laissées pour les plus démunis qu'ils ne sont pas. Un fabuleux agrégat de lalangue (ndlr : ensemble de mots propres à une communauté pour s'exprimer entre eux) que le personnage haut en couleur de la psychanalyste – présente çà et là dans la pièce, notifiera plus d'une fois tout en brandissant son cigare à chaque éclaircissement. Outre une écriture visuelle et sans surprise extrêmement théâtralisée, Frédérique Voruz porte son histoire avec brio, la dédramatisant sans cesse comme un ultime acte de dissociation et de recul face à une enfance perturbée.
Mais Lalalangue, s'il veut dresser le portrait d'une mère quelque peu hystérique, perce à jour les blessures à vif d'une femme qui avait « le corps de son rêve. Un rêve fait de vent, de neige, d'ascensions et de défis rocheux » en trouvant toutes les possibilités qui s'offraient à elle pour survivre mentalement à la vie fantasmée qui n'est plus. C'est touchant, profond et diablement beau sous toutes ses formes tant le paradoxe est bien exploité. « Prenez-en et mangez-en tous » qu'ils disent, c'est bien vrai. On s'en resservirait même encore un peu.
Un titre étrange qui fait référence à un terme utilisé par Lacan pour désigner un « ensemble de mots qui ne veulent dire quelque chose que pour une famille donnée », des formules qui ont ponctué une éducation, qui ont été serinées par les parents et restent gravées dans l'esprit des enfants .
Dans ce livre, les formules de la lalalangue de la famille Voruz apparaîtront comme titres des chapitres .
Un ouvrage constitué du texte du spectacle où Véronique Voruz, seule sur scène, raconte les profondes blessures de son enfance dans une famille « sur la touche », dans une fratrie de 7 enfants « etiquetés comme les marginaux-bizarres-antisociaux du village » .
Une mère qui ne s'est jamais remise d'un accident d'escalade où elle a perdu une jambe ainsi que les jumeaux dont elle était enceinte . Une mère unijambiste qui impose à ses enfants , dans une « folie catholique » qui s'est emparée d'elle, l'obligation de « n'éprouver aucun plaisir, se priver de tout , ne rien posséder » et interdit à ses filles toute coquetterie». Une mère incapable d'aimer.
Un père sous Prozac, perdu dans sa bulle , qui parle tout seul et laisse à son épouse le soin de gérer le quotidien.
Comment survivre dans « la merditude » de cette vie, comment s'extraire de cette famille toxique ? Comment se reconstruire ?
Par l'intégration dans une autre famille :celle du théâtre du Soleil, celle d'Ariane Mnouchkine qui « l'a prise sous son aile », par une longue psychanalyse avec une thérapeute devenue « le garde-fou de ma déperdition mentale, qui a recollé les morceaux de mon âme et permis d'échapper à la malédiction maternelle qui me vouait à l'effondrement de mes rêves » .
Sûrement aussi, comme l' ultime thérapie, par la présentation au public de ce spectacle.
Son texte dans lequel elle évite le pathos est un subtil mélange d'humour et d'émotion . Il est vivant, souvent drôle et décapant , toujours troublant et émouvant et s'il peut apparaître parfois comme un règlement de compte, il donne accès au pardon et à la possibilité d'une réconciliation .
J'ajoute que le livre est illustré de quelques dessins de l'auteur et qu'il est précédé d'une belle et vibrante préface du metteur en scène du spectacle: Simon Abkarian où celui-ci salue une artiste « qui a su faire de son histoire familiale une épopée tragicomique dont elle est l'architecte et l'héroïne »
Je remercie Babelio et les Editions Harper Collins France .
Confidences livrées pour délivrer, pour exorciser les séquelles d’une enfance bousculée, de celles qui demandent une bonne dose de résilience pour s’en sortir.
Pas de coups, pas de viol, non, mais un mode de vie trop excentrique pour ne pas déborder la sphère familiale. Il faut dire que les parents ont une histoire de couple peu banale : un accident d’escalade, une jambe en moins pour madame et la perte des jumeaux à naître, une folie douce pour monsieur, qui ne trouve d’autres remèdes à ses névroses que de concevoir une ribambelle d’enfants. Frédérique est la dernière.
Le ton est alerte, parfois proche de la colère, qui s'apaisera peu à peu lorsqu’une évocation fera surgir un éclairage nouveau, au gré des séances sur un divan lacanien.
On ne peut même pas parler d’une relation mère fille toxique : il s’agit davantage d’une pathologie psychiatrique pour cette mère imprégnée d’une religion à la logique parfois bancale et animée d'une rancoeur qui ne s'adresse pas à la bonne cible. Conséquence de l’accident fondateur, ou terrain déjà miné qui aurait de toute façon abouti à une décompensation un jour ou l’autre ? On ne refera pas l’histoire, mais on peut tout de même saluer la force de caractère de l’enfant devenue adulte et qui suit son propre chemin rédempteur.
Le texte est une adaptation d’une version théâtrale, et on le ressent à la lecture. Mais j’ai apprécié malgré tout le ton enlevé, sans apitoiement et la conviction tonitruante des propos.
Les illustrations, de la main de l’autrice, apportant un dimension supplémentaire très agréable à ce récit.
Merci à Babelio et aux éditions Harper Collins
208 pages Harper Collins 5 octobre 2022
Masse critique privilégiée Babelio
Il était une fois une passionnée d’alpinisme (Marie-Madeleine) qui, après un accident d’escalade dans les calanques de Marseille, en compagnie de son mari (alors qu’elle était enceinte de cinq mois : non mais quelle folie !) se retrouva unijambiste et perdit ses premiers bébés, des jumeaux …
Cette femme, c’est la mère de l’auteure, qui décida par la suite de ne désirer que des garçons (après en avoir perdu trois) « car les filles, c’est dégoûtant » ! … Comme le destin voulut qu’elle accouche de cinq « femelles » (pour seulement deux autres garçons) elle s’entêta à leur donner des prénoms mixtes (Joëlle, Raphaëlle, Gabrielle, Frédérique … Seule, l’ainée Angélique y échappa …) au grand dam de leur père, qui – de toute façon – n’avait pas le droit au chapitre !
Profondément religieuse, elle se servit de sa foi afin d’entretenir son image de « sainte » auprès de sa paroisse, tout en s’adonnant à sa nouvelle « passion » : martyriser sa famille (mari compris …) Ce furent donc des mesquineries déguisées, une pingrerie spectaculaire (alors que son époux, ingénieur, gagnait très bien sa vie : on mangeait mal, on portait des haillons, on ne se faisait jamais de cadeaux …) Fréquentation de clochards qu’elle imposait chez elle, juste pour la joie d’épouvanter ses trois plus jeunes enfants … J’en passe et des meilleurs ! … Et SURTOUT, SURTOUT, Marie-Madeleine s’ingénia à éradiquer l’idée même du plaisir de la vie – quel qu’il soit – et travailla à ce que ce « vice » ne fasse – en aucun cas – partie du quotidien de sa famille !
Frédérique Voruz conte son inimaginable jeunesse, sans la moindre haine (ni pathos d’ailleurs …) à un lecteur sidéré, à travers des séances avec sa psy (qui fume étrangement des cigarillos …) C’est cette enfance complètement déjantée qui lui donna le profond désir de devenir comédienne, un métier qui permet d’occulter sa propre existence, tout en s’appropriant celle des autres … Ce court – mais non moins stupéfiant – récit (200 pages) fut tout d’abord une pièce de théâtre, jouée et mise en scène avec la collaboration du très talentueux Simon Abkarian (qui a écrit la préface de cet ouvrage …) C’est incisif, voire caustique, mais non dénué d’un admirable humour (même si la souffrance est bien omniprésente …) et terriblement bouleversant pour un « non initié » au sado-masochisme cérébral … C’est beau, quoi ! Un énorme coup de coeur en ce qui me concerne, pour ce magnifique et « grand-guignolesque » témoignage d’une femme hors du commun !
Ah ! Au fait : la « Lalangue » est un lapsus de Lacan qui utilisa un terme de philosophie à la place de psychologie (le Lalande) et le conserva : il s’agit d’un langage d’apprentissage familial … Un grand merci à la Masse Critique Privilégiée de Babelio et aux Éditions Harper Collins / Traversée, pour m’avoir permis de découvrir cette (extraordinaire et cruelle) chronique, qui semble tout droit sortie d’un mauvais rêve !
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