"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La narratrice entreprend de reconstituer la vie de son grand-père Boris, en particulier durant la Seconde Guerre Mondiale, durant laquelle il a été déporté mais a survécu, à l'inverse notamment de sa soeur Rosa et de sa nièce Léna.
Appartenir est un roman personnel qui cultive le travail de mémoire, essentiel pour ne pas oublier, et rendre un visage et une histoire aux nombreuses victimes de la Shoah.
Ma chronique complète est ici : http://viederomanthe.blogspot.fr/2016/04/appartenir-severine-werba.html
Je crois que c’est le titre qui a retenu mon attention : Appartenir. Appartient-on à quelque chose, à quelqu’un ? J’avais besoin d’ouvrir ce livre pour compléter ce titre qui me faisait signe. Bien m’en a pris : j’ai immédiatement été happée par les paroles de la narratrice, Séverine Werba. Il s’agit, en effet d’un texte autobiographique, dans lequel il est question d’une quête vitale, viscérale, absolue : celle des origines.
Séverine a connu son grand-père, Boris, qui habitait un vaste appartement, au 30 rue de Léningrad, surchargé de meubles et de bibelots passés d’âge, de vieux journaux.
Dans le souvenir de la narratrice, Boris est là, devant sa télé, ne parle pas de son passé, sort quelquefois acheter du pain au cumin, du hareng et des concombres au sel. Il est sans doute né comme cela, cet homme qui ne raconte rien. Le silence pèse, une tristesse est là, on la sent, on ne met pas de mots dessus, pas encore, cela viendra plus tard.
Boris est mort, Séverine a trente ans, elle est mariée, a deux enfants. Ça va ? Non, ça ne va pas. Elle ne peut plus avancer, mettre un pied devant l’autre, comme si, à chaque pas, le sol se dérobait.
C’est parfois dur de mettre des mots sur ses maux.
Et pourtant, des images affleurent, remontent à la surface : « Au début, je n’y ai pas vraiment prêté attention. On ne prête pas attention aux souvenirs. » Et puis, le questionnement prend forme : qui était Boris, qui était ce grand-père qu’elle avait côtoyé sans jamais lui poser de questions, avait-il des frères, des sœurs, qu’avait-il vécu ? La narratrice reste muette : il est mort. C’est trop tard. Même les livres en russe et en yiddish qu’il avait laissés, elle les a balancés. Pour faire de la place. Mais on n’avance pas sur du vide…
Alors, Séverine entame une longue quête de ce passé qu’elle ne connaît pas ou si peu, vers ce grand-père juif russe né à Torczy en Ukraine : elle commence par des cours sur le judaïsme, une initiation aux rites à la synagogue mais ça ne marche pas « Rendre tout cela naturel est une illusion. » Alors, une recherche commence par l’ouverture de la boîte en carton contenant quelques photos, deux trois papiers et la prise de conscience soudaine, brutale, s’impose : « Boris avait des frères, des sœurs, un père et une mère et je comprends que je les cherche depuis toujours ».
La quête s’accélère : les archives, les listes, les registres, les photos que l’on scrute, les hypothèses, les dates que l’on confronte, les lieux que l’on arpente : pour tenter de leur rendre leur histoire, qu’ils ne soient pas purement et simplement effacés par l’Histoire, la monstrueuse, l’innommable, l’insoutenable, celle que l’on préfèrerait oublier mais ce serait les oublier eux aussi et il ne faut pas.
Il faut se souvenir de chacun d’eux. De tous. De la petite Lena Dymetman, la nièce de Boris, qui après l’horreur absolue du Vél’d’Hiv est déportée en 1942, avec sa mère Rosa, à Pithivier, Drancy puis à Auschwitz où elle est gazée dès son arrivée. Elle a deux ans.
Si la narratrice ne parle pas de Léna, alors, la petite fille disparaîtra à jamais. Mais comment parler de quelqu’un que l’on ne connaît pas ? « J’essaie d’étirer au maximum, mais je me heurte au néant. » Se taire, c’est leur infliger une seconde mort, définitive, complète, absolue. Il faut lutter et dire. Pour eux.
« Je témoigne d’un non-témoignage, je témoigne d’un silence, d’un trou laissé par la souffrance. Je témoigne d’une amputation. Je n’ai rien vu de mes yeux, je n’ai pas de souvenirs, je n’ai pas connu ceux qui sont morts et pourtant ils m’implorent. »
Alors, pour trouver des mots capables de parler de ceux qu’elle n’a pas connus et qui n’ont pas vécu, elle part en Ukraine à Torczyn et à Loutsk où elle découvrira l’histoire terrible d’un massacre de plus d’un million et demi d’êtres humains « entre 1941 et 1944 sur le front de l’Est par les hommes du Reich et leurs complices locaux en Pologne, en Union soviétique et dans les pays baltes. »
Les mots de Séverine Werba sont justes, disent ce qui s’est passé, ne cherchent pas à nous faire pleurer. Ils veulent être le vecteur de la vérité, des faits, des actes, de ce qui a eu lieu car il faut savoir ne pas détourner la tête, être capable de regarder en face. Les membres de sa famille sont nommés ainsi que les voisins, les amis, les dates et les lieux précisés un à un car ils témoignent de leur vie.
A Torczyn, la narratrice marche sur leurs pas, regarde les lieux qu’ils ont vus, le Styr où son grand-père faisait du patin à glace, sent l’air qu’ils ont respiré, empli de l’odeur des pommiers et des dahlias. Elle les sent là, à côté, présents.
C’est un texte magnifique, très sensible, qui nous dit que nous avons besoin de notre passé pour nous construire, pour savoir qui nous sommes, afin de trouver notre place, notre identité, pour exister…
http://lireaulit.blogspot.fr/
« Tout ce qui me concerne est mort en Ukraine. J'ai beau chercher, frapper aux portes, consulter les archives, rien ne refait surface. Tout est enseveli dans cette terre grasse et fertile, au milieu des champs, des forêts et en plein cœur des villes. Cela fait des semaines que je tourne autour, que je reprends mes notes, cherche un fil narratif. Et quelque chose résiste. J'ai fait ce voyage sans savoir pourquoi, mais je l'ai fait quand même. Parce qu'il était fondamental. Sur place, ce ne fut pas si clair. Je cherchais des traces disparues, effacées par la destruction et le temps dans un pays amnésique et sourd. »
Boris est juif, a survécu à la guerre et a volontairement tu son histoire à sa famille. Comment raconter l'indicible, la perte des êtres chers ?
Séverine, sa petite fille, ressent le besoin, à la naissance de ses enfants, de retracer l'histoire de sa famille. Elle se convertit au judaïsme, pensant y trouver une paix intérieure, mais elle se rend compte qu'elle a besoin de retrouver les disparus : Rosa, la sœur de Boris et sa fille Léna notamment, raflées au Vel d'Hiv et déportées. Cette quête des origines la conduit aux archives de Paris puis directement en Ukraine, à Torczyn où son grand-père est né. Si celui-ci a gardé le silence sur son histoire, Séverine découvre également que ce même silence règne chez les Ukrainiens sur la Shoah, même soixante-dix ans après. La quête est rude mais Séverine tient bon et ses multiples démarches, recherches lui permettent de mettre des visages sur des noms et sur son histoire.
Appartenir est un très beau roman – si on peut véritablement le classer dans cette catégorie – qui montre l'importance de connaître ses origines mais aussi le lourd héritage de la Shoah aussi bien chez les juifs que non-juifs.
Parce que toute une génération qui a vécu l’indicible n’en a plus parlé quand elle est revenue de l’enfer,
Parce que lorsqu’on donne la vie, la notion de transmission devient essentielle,
Parce que savoir d’où on vient, quand on ressent un silence, des non-dits autour de soi, est forcément un besoin vital,
Pour tout cela et sans doute beaucoup plus, Severine Werba a écrit ce roman qui n’en est pas un, mais plus un retour sur ses origines, d’où je viens pour savoir qui je suis et à qui j’appartiens.
Pour tout cela sans doute aussi, nous avons une soif de comprendre, de savoir, de la suivre dans cette recherche de ses origines, savoir à qui Elle appartient, pour mieux nous connaître aussi un peu sans doute.
Quand on est jeune, 17, 20 ans, les vieux livres, les souvenirs de nos anciens, même s’ils ne sont pas trop envahissants, sont synonymes de passé, et ne sont pas ceux avec lesquels on a le plus envie de vivre. Séverine Werba l’a vécu, elle qui s’installe dans l’appartement parisien de Boris, son grand père originaire d’Ukraine. Devenue mère, elle se pose les questions essentielles, entre le pourquoi du silence de celui qui ne dit pas, et le silence de tous ceux qui ne demandent pas. Car des deux côtés rien n’est dit, aucun souvenir n’est évoqué, une chape de plomb est posée sur un passé dérangeant ou trop douloureux à porter.
Ses pas vont l’entrainer à la recherche de son grand père Boris jusqu’à Torczyn, le village d’Ukraine dont il est originaire. Evocation terrible des grandes Aktions Nazies, de ces charniers, de ses tombes gigantesques creusées par ceux-là même qui allaient être exécutés en masse, d’une balle dans la tête, femmes, enfants, hommes, vieillards, avant que les nazis ne trouvent la solution finale, plus rapide, plus économique, moins stressante pour leurs soldats, l’horreur avant l’horreur absolue, mais tellement réelle.
Des rues et des jardins de Paris à la rafle du Vel d’Hiv à Paris, des villages d’Ukraine aux ghettos juifs, des camps d’extermination au retour des survivants, l’indicible est à portée de mémoire, vécu par ceux qui bientôt ne seront plus là pour en témoigner. Même si tout ou presque a été dit, chaque histoire est unique et tellement forte.
Alors on pourrait se dire, un livre de plus sur cette période si terrible que parfois on voudrait juste fermer les yeux pour oublier que l’homme peut être aussi mauvais, que tout ça a juste pu exister. Mais non, pas un livre de plus, un très beau livre, qui montre que savoir d’où l’on vient, qui on est, ce n’est pas juste une question de date de naissance, il y a avant nous tous ceux qui nous ont précédé et qui font de nous ce que nous sommes.
Un très beau roman, une écriture qui coule, qui donne envie de savoir, qui touche le lecteur, qui vibre au rythme des recherches de Séverine Werba, que l’on accompagne au fil des pages. Enfin, je ne l’aurai peut-être pas qualifié de roman, même si on le lit presque aussi facilement qu’un roman justement. En tout cas de très belles pages, dures parfois, mais essentielles. Je vous le recommande vivement.
Il n'y a pas encore de discussion sur cet auteur
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !