"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1911. Tom Barnabas, neveu et associé de la prestigieuse maison d'édition Le Carquois d'Or, disparaît un matin sans laisser de traces, alors qu'il se rendait à son travail...sans jamais refaire surface sous une forme ou une autre.
1931. Paul R. Brande, un des directeurs de la même maison d'édition, disparaît à son tour, dans des circonstances quasi identiques. Paul devait rentrer le jeudi soir précédent pour discuter avec Gina de sujets importants. Quelques jours plus tard, la jeune femme, bien qu'habituée aux absences de son mari, demande à Albert Campion de s'occuper de cette affaire, en toute discrétion, bien entendu: "Ce que j'essaie de dire, c'est que ce n'est pas vraiment inhabituel que Paul s'en aille comme ça pour un jour ou deux sans penser à me prévenir, mais il n'est jamais arrivé qu'il reste absent si longtemps sans que j'aie des nouvelles, même indirectes, et ce matin, j'ai eu le sentiment que je devais...eh bien...simplement en parler à quelqu'un. Vous comprenez, n'est-ce pas?" (Page 23).
Cette curieuse disparition aurait-elle un rapport avec Le Coureur, un manuscrit précieux détenu par Barnabas et Company, le manuscrit inédit d'une pièce de Congreve écrit de sa main et jamais imprimé, jamais copié et jamais lu, jamais mis à la disposition des érudits et des collectionneurs? C'est alors que le cadavre de Paul est retrouvé dans la chambre forte, sans doute mort depuis plusieurs jours, intoxiqué par les gaz d'échappement de la voiture de Mike, garée de l'autre côté de la petite pièce, elle-même fermée à clef de l'extérieur. Pourquoi Mike, qui s'est rendu la veille dans la chambre forte chercher des documents pour son cousin John, n'a-t-il pas vu le corps?
Que cache la façade lisse et bien pensante de Barnabas Limited? A la suite de l'enquête menée par le coroner, le jeune homme est accusé de meurtre avec préméditation. S'agit-il d'un crime passionnel selon le banal schéma du triangle amoureux? D'une vengeance liée au manuscrit précieux? Ou de la malédiction qui, vingt ans, a déjà frappé?
Les personnages:
Gina Brande: épouse de Paul, américaine, styliste amatrice; quelque chose de fondamentalement féminin dans sa personnalité qui incite à la protéger.
John Widdwson: aîné des cousins Barnabas, fils de la sœur du fondateur, directeur administratif de la maison d'édition; tempérament colérique, pompeux et entêté; forte personnalité.
Michael Wedgwood, dit Mike: le plus jeune des cousins; directeur adjoint de la firme; jeune homme poli, aimable, digne de confiance, calme; belle allure; ami de Campion.
Miss Florence Curley: secrétaire du Vieux, le fondateur, puis de John, d'un dévouement et d'une fidélité sans faille, fait presque partie de la famille; on lui reconnaît une intelligence bienveillante et omnisciente; à l'extérieur, crainte et respectée mais tenue un peu à l'écart.
Richard Barnabas, dit Ritchie: frère de Tom, le cousin disparu vingt ans plus tôt; le seul cousin à ne pas avoir hérité une partie de l'entreprise familiale; assume la fonction de lecteur de manuscrit.
Paul Brande: mari de Gina, préoccupé avant tout à démontrer son importance; fanfaron, menteur; personne agréable, qui s'enthousiasme facilement; a beaucoup fait pour la maison d'édition.
Mrs Austin: femme de ménage de Gina.
Alexander Barnabas: avocat et cousin de Mike, fils unique de Jacob Barnabas, excellent dans les affaires criminelles, très bonne réputation.
Scruby: avocat de la famille.
Albert Campion: détective privé, peu porté à l'introspection, ni à l'action.
Malgeforstein Lugg: ancien bagnard, valet de Campion.
Sergent détective Pillow: de la section spéciale.
Des Fleurs pour la Couronne, Flowers for the Judge dans la version originale parue en 1936, a été publié la même année sous le titre Un Homme Disparaît par la Nouvelle Revue Critique numéro 19, puis en 1994 par la Librairie des Champs-Elysées dans la collection Le Masque. Le style est fluide, le ton désinvolte et léger, guère plus engagé qu'un article de dictionnaire: "Même si on dit qu'il suffit de neuf jours pour qu'un sujet d'étonnement devienne un sujet d'amusement, et vingt ans pour qu'il ne soit guère plus qu'un souvenir désagréable, il n'en demeure pas moins que l'étrange disparition de Tom Barnabas en 1911 créa une sorte de précédent dans la maison. Si bien que, conformément à la façon curieusement paradoxale dont l'esprit fonctionne, personne n'y repensa quand, en 1931, Paul R. Brande, un des directeurs, ne se montra pas pendant deux jours." (Page 10).
Les détails revêtant une importance capitale dans la conception des whodunit, Margery Allingham apporte un soin tout particulier aux descriptions et au déroulement des actions: "Mike entra dans la pièce, évitant la chose pitoyable sur le sol, et commença à poser les papiers poussiéreux par terre. A cause de la chaudière de l'autre côté du couloir, l'endroit était sec, avec de temps en temps des courants d'air glacés qui venaient de la porte de la cour. Mike travaillait comme un homme dans un cauchemar, sa haute silhouette mince et son visage sensible profondément creusé paraissaient curieusement enfantins et pleins de désespoir." (Page 33).
Construction: certaines scènes importantes, sont racontées selon le point de vue d'un seul personnage: l'enquête préalable par Gina et le procès par Miss Curley; contrairement aux autres passages du roman, racontés par un narrateur omniscient. Ce procédé suscite des lacunes dans les informations dont le lecteur dispose pour résoudre l'énigme, ce dernier se retrouvant lésé par rapport aux personnages.
Je vous invite à re-découvrir Des Fleurs pour la Couronne écrit en 1936, un roman caractéristique du Whodunit britannique en vogue dans les années 1930-1940: sa construction simple: un crime, plusieurs suspects de l'entourage du mort ayant tous un mobile et l'occasion, des secrets de famille, une disparition inexpliquée des années plus tôt, tout cela dans un style très agréable à lire, vous fera passer un bon moment de lecture, mettant à contribution vos petites cellules grises, comme dirait un certain Hercule Poirot !!
George Abbershaw, pathologiste respecté ayant à de nombreuses reprises collaboré avec Scotland Yard, se rend au château de Black Dudley pour passer le week-end, invité par son ami Wyatt Petrie dans le but d'y rencontrer Margaret Oliphant dont, à sa grande surprise, il est tombé amoureux.
Le soir, à la table du dîner, George est pris d'un curieux pressentiment, comme s'il anticipait des ennuis à venir. C'est alors que les convives, après avoir écouté l'histoire de la dague contée par Wyatt, décident de jouer au Rituel de la Dague, basé sur une ancienne superstition qui affirmait que "tout cadavre touché par la main de son meurtrier se remettait à saigner de la même blessure mortelle, et que si l'arme du meurtre se trouvait à nouveau placée dans la main criminelle, elle se couvrait de sang comme au moment du crime." La règle du rituel devenu un jeu consiste à éteindre toutes les lumières pour que le chef de famille, un Petrie pure souche, remette la dague à la première personne rencontrée dans le noir, laquelle devait en faire autant avec quelqu'un d'autre. Le jeu se poursuivait une vingtaine de minutes, chacun essayant de se débarrasser de la dague avant que le chef de famille sonne le gong du dîner. A ce moment, la personne en possession de la dague perdait la partie et devait s'acquitter d'un gage.
Le soir même, le colonel, oncle de Wyatt, est retrouvé mort d'une soi-disant crise cardiaque. Pourquoi son médecin personnel et Gidéon semblent-ils si presser de procéder à l'incinération? Pourquoi n'ont-ils pas laissé Abbershaw examiner le corps pour la déclaration de décès? Cette mort serait-elle suspecte? Pourquoi le colonel portait-il un masque de son vivant? Bientôt, tous les invités et leur hôte se retrouvent prisonniers dans la maison, gardés par une bande de malfrats prêts à tout. Mais Albert Campion veille...
Toute l'action du roman se déroule dans le château de Black Dudley, dans le Suffolk, comté situé à l'est de l'Angleterre. Les décors dans lesquels évoluent les personnages bénéficient de descriptions très soignées, les détails parfaitement en accord avec l'atmosphère lugubre et les événements dramatiques qui vont se dérouler dans ses murs: "...une imposante bâtisse grise, nue et laide comme une forteresse. Aucune plante ne venait habiller sa façade; les hautes fenêtres étroites étaient obscurcies par des tentures sombres...La négligence qui régnait dans le parc se retrouvait à l'intérieur, et pourtant une majesté désuète et plaisante émanait des boiseries sombres, des peintures aux cadres noircis, des meubles de chêne massif patinés, minutieusement sculptés, mais désespérément vierges de toute cire. La maison n'avait jamais été modernisée. Les candélabres en fer forgé du hall portaient toujours des cierges, et leur lumière animait des ombres immenses, comme des mains gigantesques et fantomatiques, qui se tendaient jusqu'au plafond de chêne." (Pages 9-11).
Mise en scène lugubre, digne des films gothiques tel que Le Corbeau avec Vincent Price: "Tout un côté de cette salle longue au plafond bas était éclairé par des fenêtres à vitraux. Quelques bûches flambaient dans un grand feu ouvert, et sur la table huit chandeliers éclairant seuls le décor. Des portraits ornaient les murs." (Page 11)..."le passage était recouvert de planches et très poussiéreux...Ce n'était qu'un boyau étroit, offrant juste assez d'espace pour servir de passage à un homme rampant à quatre pattes, mais Abbershaw s'y engagea avec détermination. L'atmosphère y était presque insupportable et sentit le moisi. Les rats détalaient devant lui tandis qu'il rampait en s'éclairant avec sa torche. Enfin, il atteignit les escaliers dont Campion avait parlé. Ils étaient raides, solides, et disparaissaient dans l'obscurité au-dessus de sa tête." (Page 104).
Crime à Black Dudley, première apparition du fantasque détective privé Albert Campion, est un whodunit dans la pure tradition: atmosphère victorienne, manoir vétuste perdu dans la campagne anglaise, personnages disparates réunis pour un week-end. Toutefois, l'originalité apportée par Margery Allingham est la façon dont elle raconte certaines scènes décisives d'un point de vue indirect: lorsque les prisonniers enfermés dans une chambre du manoir regardent par la fenêtre les conséquences de l'arrivée des chasseurs. Tout comme la description des personnages par le regard de George: le lecteur ne sait d'eux que ce que ce dernier en sait ou en voit, point de vue réducteur qui a l'avantage d'amplifier le suspense d'une manière insinuante.
Tout comme cette façon très particulière qu'a l'auteur d'éveiller la curiosité du lecteur en distillant des détails importants de façon apparemment anodine: "Par la fenêtre, on ne voyait que tristesse et indicible solitude. Sur des kilomètres, jusqu'à la mer au-delà de l'horizon, la plaine uniforme étendait ses pâturages négligés. Une monotonie incommensurable." (Page 9)
Un roman policier classique résolument moderne, voilà comment je décrirais Crime à Black Dudley en quelques mots...Captivant !!!
En tant que grande fan des écrits d'Agatha Christie, je ne pouvais pas passer à côté de la découverte de la plume de Magery Allingham, romancière britannique importante dans les romans de whodunit. Elle est la créatrice du personnage de détective Albert Campion, dont cette aventure est la septième enquête, parue en 1936.
Albert Campion est un ami de la famille Barnabas, qui est une maison d'édition réputée. Alors lorsque l'un de ses membres - Paul Brande, la victime - est retrouvé dans une pièce d'archives, sise au sous-sol de l'établissement, après avoir disparu pendant plusieurs jours; le jeune homme est appelé à la rescousse. Il doit défendre Mike Barnabas, qui est accusé du meurtre de son cousin, par amour pour la femme de ce dernier. Mais les choses et les événements ne sont pas aussi limpides qu'il y paraît.
Dès les premières pages, le lecteur est plongé, sans préavis, dans la vie d'Albert Campion et de la famille Barnabas. Il découvre ainsi une maison d'éditions, dirigée par des hommes, qui ne semble pas aussi florissante qu'il y paraît, même si sa renommée n'est plus à faire. Sans préavis, car dans les premiers chapitres, le lecteur est un peu perdu entre tous ces hommes d'une même descendance, que l'on confond un peu beaucoup, sans parler des générations précédentes...
Le fait que le roman date des années 1930 s'en ressent un peu dans l'écriture, le style est détaillé, mais le lecteur ne ressent que peu d'empathie pour les personnages. Bien sûr, l'un des personnages féminins, la femme du défunt, prénommée Gina; étant sous le feu des projecteurs, surtout pendant le procès, l'autrice s'attarde davantage sur son ressenti et sa détresse. Sinon, il n'est que très peu question de sentiments.
Sans spoiler, il est difficile d'être clair. Par contre le lecteur est surpris quant à un événement se produit, et coupe un peu l'herbe sous le pied de l'intrigue. La conclusion de l'enquête tombe comme un cheveu sur la soupe, sans que le lecteur en est suivi le détail, alors qu'il a été assidu à tous les autres développements de l'intrigue. En parlant à demi-mot, la seconde partie de l'investigation; qui n'en est pas vraiment une car personne n'avait demandé à Campion de se poser sur la question, est une disparition qui a eu lieu il y a une vingtaine d'années, et que bien sûr, le détective va résoudre avec brio. Cette fin est bien en adéquation avec le reste du roman, et fait plaisir au lecteur qui aime la justice. (...)
http://lillyterrature.canalblog.com/archives/2020/04/05/38177149.html
Le pitch de départ me plaisait beaucoup car l'intrigue se déroule au sein de la famille Barnabas qui gère au début du vingtième siècle, une prestigieuse maison d'édition. Outre le fait d'exploiter une entreprise familiale, les Barnabas ont choisi de vivre dans des maisons adjacentes à leurs bureaux. Ils ne se quittent donc presque jamais… Paul, l'un des leurs, est retrouvé mort dans la salle d'archives alors qu'il avait disparu depuis quelques jours. Sa femme, Gina, ne s'était pas inquiétée outre mesure, puisque Paul est un électron libre, le feu follet de la maison qui a pour habitude de s'absenter lorsqu'il s'est mis en tête de dénicher un nouveau talent. Les relations que Gina entretient avec Mike, le cousin de son mari, sont rapidement pointées du doigt et ce dernier est mis en examen. Albert Campion, ami de la famille, est appelé à la rescousse pour démontrer l'innocence de Mike. Ce n'est pas la première fois que la famille Barnabas défraie la chronique car vingt ans plus tôt Tom Barnabas s'est volatilisé en pleine rue sans que l'on ne retrouve jamais son corps...
"Des fleurs pour la couronne" est un roman agréable, qui se lit facilement et qui se déroule en plus dans l'Angleterre des années 30, période que j'apprécie particulièrement. Nous en apprenons aussi beaucoup sur la justice de cette époque et sur la tenue d'un procès pour meurtre (on comprend ainsi le titre du livre...). Ce roman a une construction plus classique de "whodunit" (roman policier du début du XXème siècle dont la trame est dédiée à la résolution de l'énigme - à l'instar des romans d'Agatha Christie par exemple) que "Crime à Black Dudley", petit reproche que j'avais fait à ce premier roman. J'ai été un peu déstabilisée par le fait que nous ne disposons d'aucune information concernant Albert Campion, on ne sait rien de sa vie, de son métier ou de sa famille. Et comme nous n'en savions pas plus dans sa première enquête, nous ne sommes guère avancés. Mais tout cela ne suit absolument pas à l'histoire et à la résolution du meurtre !
Chronique complète sur : https://riennesopposealalecture.blogspot.com/2020/04/des-fleurs-pour-la-couronne.html
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