"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le voyage interrompu
D'origine roumaine, Liliana Lazar nous entraîne au cœur des Carpates, sur les pas d'un jeune couple à la recherche d'une «miraculée» dont le témoignage permettrait de conclure une thèse de doctorat. Mais en ce milieu d’automne 1992, il va se perdre dans la montagne et devoir partager le quotidien d'une étrange communauté. Un drame à l'atmosphère envoûtante.
Jeanne a finalement réussi à persuader son compagnon à partir pour les Carpates. L'étudiante a lu l'histoire d'une femme qui serait revenue d'entre les morts et qui appartiendrait aux Lipovènes, un groupe ethnique persécuté par le tsar Pierre le Grand à la fin du XVIIe siècle et qui aurait trouvé refuge en Roumanie. Son témoignage pourrait lui permettre de terminer sa thèse de doctorat et à lui assurer une belle carrière.
Voici donc le couple parti pour un périple de 2000 km jusqu'en Roumanie via l'Autriche et la Hongrie. Au volant de sa Peugeot 504, Boris va vite se rendre compte que le voyage s'annonce bien plus périlleux que prévu. En cet automne 1992, la Roumanie ne dispose en effet que de peu de routes asphaltées. «Les nids-de-poule parsemaient la nationale, risquant à chaque virage de vous tordre les essieux. Quant aux voies secondaires, elles se limitaient à une succession de chemins de terre, que les pluies récentes avaient transformés en torrents de boue.»
Après un voyage éreintant, Jeanne et Boris finissent par trouver une auberge où ils pourront se reposer avant d'entamer leur dernière étape jusqu'à Rodna. Sur les conseils de l'aubergiste, ils décident d'emprunter l'itinéraire passant par le col qui devrait leur faire économiser quelques heures de route. Mais sur les flancs de la montagne enneigée leur Peugeot tombe en panne. Ils n’ont alors d’autre choix que de chercher un refuge dans cet endroit isolé. Fort heureusement, ils vont être recueillis par une communauté discrète qui a décidé de s’installer à l’abri des regards après avoir fui la Russie en 1910. Si Boris va chercher par tous les moyens à quitter cet endroit, Jeanne va essayer de nouer le dialogue, se disant qu’elle tenait là un bon sujet d’études. Il faut dire que les premiers entretiens qu’elle mène avec la colonie ne manquent pas de la surprendre. Ici, les femmes règnent en maître, les hommes sont relégués à l’écart et appelés les boucs. Cette inversion de la domination est du reste l'une des clés de ce livre envoûtant par bien des aspects, terrifiant par d'autres.
La nature hostile et les accidents vont contraindre nos deux rescapés à prolonger leur séjour. C’est alors que va se nouer le drame qui va donner à ce récit sa dimension tragique et séparer le couple.
Liliana Lazar nous fait découvrir ces «vieux-croyants» chassés par Pierre Le Grand et dont une partie a fini en Roumanie dans un roman construit en trois parties à la tension toujours plus croissante. Du voyage d’études, on passe très vite à la nuit mystérieuse, à une sorte de piège qui se referme sur les intrépides voyageurs à un moment où le pays vivait encore dans des conditions proches du Moyen-Âge pour finir sur une âme errante. Mais ne dévoilons pas tout de ce roman qui se lit comme un thriller, rebondissements compris. Le Clézio ne s’est pas trompé en parlant de plume superbe et de science du récit. On ne saurait trop vous conseiller de prendre à votre tour la route des Carpates !
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Si elle vit depuis près de trente ans en France, Liliana Lazar est à ce point habitée par la forêt de son enfance, en Moldavie roumaine où son père était garde-forestier, que l’on retrouve encore et toujours ce lieu « du sauvage, de l'animalité et de la force païenne » au coeur de ses romans. Elle nous transporte au plus touffu des épicéas de la montagne des Carpates, là où une étrange communauté religieuse vit discrètement au rythme de pratiques mystérieuses.
Nous sommes en 1992, pas si longtemps après la chute de Ceausescu. Deux Français, Boris et Jeanne, lui boxeur professionnel, elle anthropologue sachant parler roumain, se rendent à Rodna, une petite ville des Carpates, pour y recueillir des témoignages utiles à la thèse de la jeune femme. Déjà fragilisée – elle ne lui a pas annoncée qu’elle est enceinte, il lui cache le courrier rejetant sa candidature pour le poste universitaire qu’elle convoite –, l’entente au sein du couple résiste mal au climat déstabilisant qui accompagne leur périple. Après une nuit agitée dans l’atmosphère inquiétante d’une auberge isolée, voilà que leur Peugeot 504 tombe en panne en pleine montagne, sur une route peu fréquentée que la neige de plus en plus abondante est en passe de rendre impraticable.
Aventurés dans la forêt en quête de secours, les deux naufragés rejoignent une étrange communauté, totalement coupée du monde, composée de Lipovènes – vieux-croyants orthodoxes chassés de la Russie tsariste et réfugiés entre Ukraine, Roumanie et Moldavie – et de femmes diversement poussées à les rejoindre par la maltraitance des hommes. Tous vivent en autarcie, sous la houlette matriarcale et résolument misandre d’une certaine mama Otilia. Si, chez Jeanne, l’anthropologue trouve aussitôt de quoi s’accommoder de ce que les conditions météorologiques annoncent comme une longue réclusion, le bouillant Boris n’a qu’une hâte : regagner la civilisation. C’est sans compter les règles de cette microsociété, peu soucieuse de voir divulgué le secret de son existence...
S’inspirant très librement de la géographie de son enfance et d’ingrédients culturels originaux, tout droits venus de profondeurs historiques et religieuses d’un autre âge, la plume de cette auteur qui a si admirablement adopté la langue française excelle à épaissir une atmosphère mystérieuse et inquiétante, tendue autour de l’étrangeté de gens nous imposant bientôt leur oppressant huis clos. Fallait-il pour autant charger la mule jusqu’à l’invraisemblance ? Si l’intrigue en gagne en péripéties mouvementées jusqu’à un final des plus haletants que ne renierait pas le cinéma d’épouvante, l’on pourra sentir poindre le regret que, aussi récréatif et prenant que cela soit, l’ensemble finisse par gêner aux entournures d’un féminisme exacerbé jusqu’à la haine et la folie.
Un excellent roman d’atmosphère donc, pour une lecture pleine d’angoisse et d’étrangeté, mais un grand point d’interrogation quant à la forme outrancière qu’y revêt le féminisme, à la manière par exemple de Sophie Pointurier dans Femme portant un fusil.
Durant l’hiver 1992, un jeune couple français voyage en Roumanie. Jeanne, qui parle la langue du pays, rédige une thèse sur les rituels funéraires des orthodoxes vieux-croyants. Elle souhaite se rendre à Rodna, dans les Carpates, pour y rencontrer une femme qui aurait ressuscité. Boris, son compagnon, ancien boxeur, l’accompagne dans ce périple.
Sur une route de montagne, la voiture du couple tombe en panne. Une enfant vient leur porter secours et Jeanne et Boris la suivent jusqu’à son village, qui ne se trouve sur aucune carte. Ils y découvrent une communauté dirigée par Mama Otilia. A l’origine fondée par des religieux russes ayant fui en Roumanie en 1910, la communauté est désormais matriarcale. Si Jeanne voit en ce séjour inopiné une opportunité d’enrichir son travail de recherche, Boris se montre beaucoup méfiant, d’autant plus qu’il comprend vite que la misandrie règne au sein du village.
Je ne connaissais pas l’autrice, Liliana Lazar, qui est roumaine mais écrit en français, et n’avais pas encore entendu parler de ce livre, qui tient les promesses que son titre évoque : c’est un roman d’aventure, sombre et mystérieux, qui m’a tenue en haleine.
En sus du suspense sur la situation de Jeanne et Boris, le livre nous plonge dans une communauté aux règles et rituels bien différents de ce que l’on peut rencontrer dans notre société, ce qui nourrit forcément une prise de recul et une réflexion. La nature est sauvage, l’ambiance est lourde, les motivations troubles.
Une très bonne surprise !
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