"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est toujours un moment très excitant pour moi de découvrir un auteur (en l'occurrence une autrice) avec une nouvelle.
Et là j'ai été cueillie dès la première nouvelle, Les prospectrices ; j'ai immédiatement plongé dedans, y trouvant un petit soupçon de Stephen King, là où je m'attendais à suivre l'aventure de deux jeunes femmes pendant la Grande Dépression.
Les nouvelles suivantes ont confirmé cette première impression positive et ce mélange de réalisme, de dépaysement et d'étrange, que le sujet principal soit un éleveur de tornades, le fameux lévrier d'Emma Bovary, des soeurs gondolières dans une Floride futuriste...
Chaque nouvelle a été pour moi source de surprise, mais d'une agréable surprise, je ne savais jamais à quoi m'attendre et je n'ai jamais été déçue.
Karen Russell traite l'élément surnaturel de manière si naturelle que c'en est troublant. Nul besoin de lourdes explications, on entre facilement dans cet univers étrange et à la fois si familier.
Hilola Bigtree est la vedette de Swamplandia, un parc d’attraction consacré aux alligators, situé dans les Everglades, en Floride. Son plongeon dans la fosse des reptiles est célèbre dans toute la région et attire des hordes de touristes. Mais sa mort met le parc en péril ; Swamplandia se désemplit, le bateau qui faisait la navette entre le continent et l’île est à l’arrêt et l’ouverture d’un parc concurrent, le Monde de l'Obscur, achève de mettre la famille Bigtree sur la paille. Chacun des membres de la famille va alors tenter de sauver le parc à sa manière.
Seul problème: tous les Bigtree sont un peu fêlés. Le père, « Chef », se prend pour un indien pure souche et a d’ailleurs créé un musée à la gloire de ses « ancêtres ». Le fils, Kiwi, féru de latin et de littérature, rêve d’Harvard et d’une vie « normale ». Ossie, la fille aînée, communique avec sa mère morte par l’intermédiaire d’une planche de ouija et tombe amoureuse d’un fantôme. Enfin, la benjamine, Ava, n’a qu’une envie : devenir dompteuse d’alligators.
A la fois roman d’apprentissage et roman picaresque, Swamplandia! a sa place dans la grande tradition de la littérature gothique du Sud des Etats-Unis (southern gothic), telle que l’a définie Francis Russell Hart : « une fiction évoquant un paysage sublime et pittoresque, qui dépeint un monde en ruines ». On y retrouve à la fois les personnages inadaptés et marginaux de Tennessee Williams et le réalisme magique de William Faulkner. Il y a également une parenté indéniable avec Pat Conroy et John Irving : des familles déglinguées, cette manière de mêler le burlesque et le tragique, l’ancrage dans un état américain – le New Hampshire pour Irving, la Caroline du Sud pour Conroy et la Floride pour Karen Russell.
L'auteur décrit la nature dense et aqueuse des Everglades avec une finesse qui retranscrit parfaitement la beauté des paysages et des saisons : l’été, « quand l’air était aussi richement peuplé que les mers – mouches et libellules, un cosmos de moustiques : toute cette vie s’élevait des trous dans le calcaire, au crépuscule » ; les marécages où, « des lentilles d’eau traînaient comme un voile de mariée derrière notre bateau ». Un univers merveilleux mais également dévasté : le parc de Swanplandia est criblé de dettes, les crocodiles dépérissent, la famille Bigtree part littéralement à vau-l’eau, jusqu’à la végétation des marais qui périt, étouffée par les niaoulis, une espèce d’arbres envahissante.
Karen Russell manie l’absurde, l’aventure et l’onirique avec brio. On rit à l’évocation des attractions crétines du Monde de l’Obscur, avec son toboggan baleine et sa piscine teinte en rouge. On est ému par le personnage d’Ava, doux mélange de l’impertinente Scout dans Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, et de l’intrépide Tom Sawyer.
Karen Russell possède indéniablement un magnifique talent de conteuse, dans la veine de Lewis Carroll et d'Alice au pays des merveilles. Si on n'y croise pas de Chapelier Fou ni de Lapin blanc, on rencontre un Oiseleur énigmatique et une Mama Weeds, qui recoud les vêtements des fantômes, aux détours du chemin.
Karen Russell a figuré parmi les trois finalistes du Prix Pulitzer 2012, que le jury n’a pas réussi à départager. Swamplandia! a par ailleurs été sélectionné par le New York Times comme l’un des cinq meilleurs romans américains de l’année 2011. Devant ce succès, la chaîne de TV HBO a annoncé l’an dernier son intention de produire une série inspirée du roman de Karen Russell.
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