"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une bande dessinée singulière de par son trait graphique "naturaliste", foisonnant de détails, à la fois simple et puissant mais aussi pour son sujet très moderne puisqu'elle traite du sujet du harcèlement et comment une rumeur se propage finissant par détruire la vie des gens qui la subissent (mais qui pourrait bien aussi nuire à ceux qui l'alimentent au passage…).
Être une femme libre n'est pas toujours bien vu, surtout quand on vit dans un petit village des Flandres et qu'on a l'habitude de fréquenter le club des footballeurs locaux (la plupart des copains d'enfance) que ce soit par amitié ou pour écrire ses articles de presse de la rubrique sportive…
Ceux qui ne sont pas bien dans leurs baskets finissent par envier, haïr cette femme seule et épanouie, y trouvant forcément à redire et c'est là que l'histoire dérape… La tension va crescendo et on est finalement happé par l'histoire de Merel, femme forte et touchante qui ne s'en laisse pas compter.
C'est presque un roman social qui dépeint les difficultés d'être une femme qui s'assume seule, sans mari en milieu rural. Un observatoire pragmatique du genre humain et des relations haine-amour, jalousie-désir admirablement mis en scène par Clara Lodewick.
Dans son roman graphique, Lodewick décrit toute une communauté qui va vaciller… Le point de départ : un couple au bord de la rupture. La suite : tout un système de relations sociales qui se retrouve entrainé dans cette crise conjugale. Et c’est là, tout le savoir-faire de l’autrice qui parvient à distiller finement la psychologie de chacun des acteurs de cette crise à travers le découpage de ses bulles et les scènes de vie quotidiennes choisies.
De l’enfant mis à mal dans le conflit parental, instrumentalisé, au poids de la rumeur, à la difficulté d’être une femme seule et indépendante en milieu rural, Lodewick aborde des sujets variés. Tout du long, elle vient nous questionner, nous interpeller sur les failles de l’être humain, les conséquences de paroles, actes qui mis bout à bout ne sont plus si anodins…
Cette chronique sociale en milieu rural se lit d’une traite, l’intensité monte au fil des pages et on se demande vraiment qu’elle issue en sortira, le système retrouvera-t-il son équilibre ?
Ce premier album d’une jeune autrice Bruxelloise , sélectionné au festival d’Angoulême est une chronique subtile du harcèlement en milieu rural. Nous assistons à la lente descente aux enfers dont est victime Merel, une quadragénaire célibataire et indépendante, journaliste pour la presse locale qui élève des canards pour le plaisir. Du jour au lendemain , à la suite d’une mauvaise blague, ses ami-e-s de ce village de Flandres qu’elle côtoie depuis l’enfance la rejettent.
Dans ce petit village la rénovation des vestiaires et des douches du Club de foot est l’évènement du moment que couvre Merel pour le journal local. Pour les 45 ans du Club, son président est fier d’en faire la visite à ses invités. Au fil des conversations, Merel fait une gentille blague sur l’un des joueurs, Geert, qu’elle dit avoir vu nu sous les douches. Sa femme Suzie n’apprécie pas et alors que leur couple périclite, c’est sur Merel qu’elle va reporter toute sa colère en faisant circuler de fausses rumeurs sur son compte. Les ados entendent ça, les commerçant commencent à jaser et toute cette petite communauté va prendre Merel en grippe. Mais tandis que les parents propagent les ragots, les ados, eux, agissent avec la cruauté de leur âge.
Clara Lodewick décrit patiemment ce processus de la rumeur qui s’amplifie ainsi que ses conséquences . Elle prend son temps et accorde beaucoup de tendresse au personnage de Merel. Le dessin est simple et agréable à l’image du profil psychologique de son personnage, ce qui nous le rend immédiatement sympathique et proche.
Merel, une quadra dynamique vit dans un petit village du Hainaut sans mari ni enfants. Elle élève avec passion des canards d’ornement, est correspondante pour le journal local et l’un des piliers du club de foot. Elle a des amitiés « viriles » mais le jour où elle se permet une blague pas très fine (qui aurait bien faire rire si elle avait été un homme) sur l’un de ses amis d’enfance Geerts, tout dérape. Le village entier va se liguer contre elle, colporter des rumeurs et faire de sa vie un enfer…
Quelle n’a pas été notre surprise après la lecture de cet album de découvrir que son autrice était toute jeune. Clara Lodewick inaugure justement une nouvelle collection de la maison Dupuis consacrée aux romans graphiques de jeunes auteurs : « les ondes Marcinelle ». Et elle le fait avec brio ! Son travail fait preuve d’une grande maturité surtout sur le plan scénaristique. En effet, dans un cadre en apparence bucolique (la campagne et les petites villages) , elle montre comment le poison de la rumeur va se distiller. Il y a du Balzac ou du Flaubert dans cette autrice ! L’album s’ouvre sur une scène de comices agricoles et l’artiste nous dépeint à sa façon ses « Scènes de la vie de province ».
Ses personnages sont tous très bien caractérisés. Merel, l’héroïne éponyme, est très attachante dans sa « rudesse », ses maladresses et sa naïveté aussi. Elle n’est pas la seule héroïne de ce récit. On y trouve aussi le coupe Geert / Suzie qui n’a plus rien à se dire et se délite en faisant souffrir leur fils Finn qui chaque soir se trouve au milieu des disputes et rancœurs. L’artiste montre combien ces deux histoires a priori parallèles sont liées et nous fait comprendre comment Suzie se construit une ennemie pour éviter d’avoir trop à se remettre en question et comment les petites lâchetés et l’ennui de chacun vont sournoisement s’accorder sur un bouc-émissaire. Clara nous émeut aussi en montrant par petites touches comment Merel si enjouée va petit à petit sombrer. Sa peinture du harcèlement est d’une justesse incroyable et souligne combien chacun peut se muer en harceleur.
Il y a donc également du Brel chez elle, dans son étude de mœurs elle raconte son plat pays et la bêtise ordinaire. Son histoire est très bien menée : elle parvient à nous « happer » sans aucun effet spécial, simplement en réalisant une chronique d’un quotidien qui dérape. Bon sang ne saurait mentir : son père est scénariste (sous le nom de plume de Dugommier, il a écrit la série jeunesse à succès « Les enfants de la Résistance ») et elle a hérité de son talent de raconteur d’histoires.
Si l’on peut être tout de suite séduit par le scénario, le graphisme peut dérouter. Le style est très ligne claire et le trait semi-réaliste et les personnages dotés de grosses cernes et poches sous les yeux ne sont guère en beauté même s’ils ne sont pas sans évoquer « Les Frustrés » de Bretécher. L’artiste travaille sur du papier au stylo bille puis effectue la mise en couleurs à la gouache. Elle dit ne pas aimer le numérique qui l’ennuie et « n’offre pas le plaisir d’ouvrir des tubes et de voir la couleur des pigments changer à la lumière ». Elle nettoie pourtant ses planches à l’ordinateur et c’est peut-être ce qui donne un côté trop aseptisé à son trait qui manque du coup un peu de chair pour traduire la violence des passions qui se déchaînent. Mais on ne pourra que saluer en revanche son utilisation de la couleur pour créer les différentes ambiances (là aussi elle a été à bonne école : sa mère a longtemps été coloriste) et son détourage des cases ou son absence de décor lorsqu’elle voulait se focaliser sur les personnages et leurs sentiments.
Cette première œuvre de l’ancienne étudiante de St Luc inaugure donc brillamment la collection en prenant pour cadre un milieu peu dépeint et en en ôtant tous les stéréotypes bucoliques qui y sont attachés. Clara Lodewick travaille actuellement sur son deuxième projet dans lequel l’humain (trop humain) sera encore au centre de l’intrigue et nous l’attendons avec impatience !
Chronique augmentée sur notre blog Bulles2dupondt.fr
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