"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une histoire vraie, bien écrite, triste mais où l'amour, l'espoir, l'humanité ressortent malgré les tragédies
La vie d’Annick Kayitesi-Jozan, 14 ans, a changé une première fois 2 ans auparavant avec la mort de son père et de sa petite sœur, mais en ce mois d’avril 1994, elle va basculer dans l’horreur et l’indicible. Parce qu’elle est née Tutsi, sa famille va être massacrée. Sa mère, sa sœur, son frère, ses cousines, ses tantes, tous ceux et celles qui tutsi, ont eu le malheur de se trouver au Rwanda en 1994.
Elle seule en réchappera indemne physiquement mais devra réapprendre à vivre. Une de ses sœurs survivra aux coups de machette mais en restera mutilée.
23 ans plus tard, Annick Kayitesi-Jozan est mariée, mère de 2 enfants mais toujours profondément traumatisée par ce qu’elle a vécu. Le fait de n’avoir pu enterrer sa mère la hante.
Au fil des pages, elle se confie, se livre, alterne le présent et les retours dans le passé avec beaucoup de pudeur et de retenue. Il est difficile pour elle d’expliquer à ses enfants d’où elle vient, où est sa famille et elle le fait de façon très poétique en incluant des poèmes, des citations, de la philosophie de vie du Rwanda en Kinyarwanda. Ces passages sont magnifiques et atténuent un peu les horreurs décrites dans ce livre.
Car ce livre est dur, très dur et certaines descriptions sont insoutenables.
Ce livre s’ajoute aux nombreux documents et témoignage sur le Rwanda que j’ai pu lire et voir il y a quelques années.
Le dégout et l’écœurement face à toute cette inhumanité violente à l’extrême reste les mêmes. Nous plongeons chaque fois au cœur de ce que l’homme peut faire de pire à l’autre et nous n’en ressortons pas indemne. L’autre n’est rien, n’existe plus. Il n’est qu’un cafard à éliminer. La lecture de ces témoignages est insoutenable et blesse l’âme. Je reste cependant toujours fasciner face à cette résilience et envie de vivre malgré toutes les horreurs. Comme si l’humain gardait toujours un peu d’espoir malgré le chaos. Des leçons d’humanité face à l’inhumanité. Comment vivre après tout ça ? C’est un pan de l’histoire sans fin, sans jugement véritable, sans expiation. Un jour la vie a repris son cours, des hommes ayant tué leurs voisins sont revenus s’installer à coté de leurs victimes ou de celles qu’ils restent. La haine cultivée pendant plusieurs générations n’a pas trouvé de réponse véritable. Il manque un Desmond Tutu à la reconstruction du pays et à l’évitement d’un prochain massacre.
Une imposture, elle dit qu'elle est une imposture !!
Annick Kayitesi-Jozan est tout sauf une imposture, c'est une femme remarquable, qui se demande encore, vingt ans après, comment elle n'est pas morte, en même temps que sa famille au cours du génocide rwandais, le 30 avril 1994.
Tous ses Abantu banjye, ses quelqu'uns..tous ceux qu'elle connaissait sont massacrés à coups de machette, démembrés et achevés ou non par les Hutus, laissés en tas et dévorés par les chiens. Seule sa sœur aînée, bien que défigurée et physiquement marquée survit et avec elle sera emmenée au Burundi voisin avant de s'envoler pour la France, où elles demeurent encore.
Annick ne peut oublier sa mère, victime de la dénonciation d' »amis » , ne peut faire le deuil comme dans son pays, ne peut se laisser aller , il faut survivre. Survivre à l'enfer, perpétré par des hommes, des voisins, des gens qu'elle connaît depuis toujours et qu'elle revoit régulièrement quand, pour enterrer sa grand-mère, elle fait le voyage de retour.
Ce sont ses deux enfants qui l'obligent à revenir sans cesse vers ce passé, mot après mot, question après question, pourquoi, comment, qui ? « ze suis triste » « ze suis triste »
Elle n'a pas la réponse, elle a une réponse, la sienne propre, mise en voix dans ce livre, remarquable dans sa forme et son contenu.
Dire l'indicible, faire passer le message, à nous qui avons appris le massacre, le génocide et n'avons rien fait.. sauf lire, exactement comme pour les Rohingyas en ce moment.
Il est évident qu'on ne peut pas aimer le livre, le sujet surtout, mais être bouleversée, oui, par la forme donnée par l'auteure qui a su rendre le chaos dans sa tête, dans sa vie, dans celle de sa famille, depuis sa grand-mère à ses enfants par l'accumulation de mots, seuls, ou de courtes phrases, en français et en kinyarwanda, phrases qu'il faut développer et expliquer.
Il est d'ailleurs passionnant de découvrir le vécu d'un pays par la traduction de « bonjour » ou « bonne nuit » !! ou le choix des prénoms des enfants selon la vision des parents. Quel monde entre nous !
Elle a su ajouter des respirations..si j'ose dire, car ces petits poèmes traitent du souffle, qu'elle perd, de pleurs et de chagrins, rien de gai ni réjouissant mais qui le pourrait ?
Les deux langues entremêlées, les deux cultures ajoutées, les douleurs empilées et non fusionnées, rendent ce livre inoubliable dans sa dureté et son réalisme.
Ikitika kirakiza : ce qui ne te tue pas te rend plus fort mais aussi je suis triste à mourir et je suis triste à vivre, comme elle dit.
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